Réunis à l’Opéra de San Francisco en avril 1945, les délégués de plus de cinquante pays s’engageaient à épargner aux générations futures le fléau de la guerre. Les Nations Unies allaient reposer sur le principe de « l’égalité des droits des nations, grandes et petites (…), cohabitant dans la paix et le bon voisinage ». Le président américain Franklin D. Roosevelt avait insisté pour que les Etats-Unis accueillent la conférence. Générosité ?
Il s’agissait aussi de permettre à ses agents d’espionner les délégués et de surveiller les messages qu’ils échangeaient avec leurs capitales. Recueillis par les compagnies télégraphiques, leurs télégrammes, cryptés, furent décodés par des officiers opérant 24h/24, puis transmis aux négociateurs américains. Ce fut un succès total.
Elaborées contre les puissances de l’Axe, puis contre l’Union soviétique, les capacités américaines de renseignement électronique allaient être regroupées au sein de
Les affaires du monde se faisant de plus en plus par la voie des communications électroniques, la surveillance de ces échanges est primordiale.
Retraçant l’histoire de cette surveillance électronique planétaire, Bamford convainc que sa mise en place n’avait pas pour vocation première de protéger les Etats-Unis contre des menaces extérieures, mais, le plus souvent, de réunir des informations servant à promouvoir la guerre en tant qu’instrument politique et à saper les « droits fondamentaux » des autres pays.
Dans l’immédiat après-guerre, au siège de l’ONU – truffé d’écoutes -, on débattait de la partition de
Pendant la seconde guerre mondiale, les agents américains et britanniques avaient engagé une course de vitesse avec leurs homologues soviétiques pour déchiffrer les codes de l’armée allemande. Les Etats-Unis devancèrent largement l’URSS, mais l’avantage fut de courte durée. Dans le courant des années 1950, des avions espions survolèrent l’Union soviétique, à l’instar de ceux qui survolèrent, en avril 2001, l’île de Hainan, en Chine ; dès la fin des années 1980,
Après l’échec de l’invasion anticastriste de la baie des Cochons, en avril 1961, les chefs de l’état-major américain concoctèrent un projet étrange. Leur stratégie, mise à jour par Bamford, consistait à lancer une « campagne de terreur » à l’encontre des citoyens américains et à l’imputer à Cuba afin de justifier une invasion généralisée de l’île. Un rapport secret avançait que « la publication de la liste des victimes dans les journaux américains provoquerait dans le pays une vague d’indignation instrumentalisable ». Baptisé « Northwood Operation », ce plan prévoyait des détournements d’avions et des attentats à la bombe à Miami et à Washington. Les documents préparatoires précisaient qu’il fallait « donner au monde l’image d’un gouvernement cubain représentant (…) une menace grave et imprévisible pour la paix dans l’hémisphère occidental ».
L’administration Kennedy n’approuva pas l’opération Northwood, mais, deux ans plus tard, un « incident » similaire dans le golfe du Tonkin déclenchait la guerre du Vietnam. Des agents de renseignement britanniques, australiens et néo-zélandais se rallièrent à une vaste opération des services secrets américains au Vietnam, les aidant notamment à localiser des cibles afin que soient remplis les quotas quotidiens des missions de bombardement des B-52.
L’histoire de l’agence fait apparaître une grande variabilité dans l’attitude des Etats-Unis. Un exemple éloquent en est l’attaque par Israël du navire espion Liberty de
De façon convaincante, Bamford démontre que les militaires israéliens savaient pertinemment qu’ils attaquaient un navire espion américain. Il suggère que le but de l’attaque était d’empêcher la collecte d’informations sur les atrocités militaires commises à vingt kilomètres de là seulement, dans la ville égyptienne d’El-Arish, où des soldats israéliens étaient entrain de fusiller des centaines de civils et de prisonniers ligotés. Le Pentagone décréta un black-out médiatique, et les membres de l’équipage furent menacés de prison s’ils parlaient de l’attaque. Le président américain Lyndon Johnson aurait déclaré que « peu [lui] importait que le navire coule, il ne mettrait pas ses alliés dans l’embarras ».
N.
(1) En 2013, ce budget maintenu secret, est estimé à 8 milliards de dollars par le magazine Foreign Policy (6 juin) et à 10,8 milliards de dollars par le Washington Post (30 août).
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