Cela peut paraître un non-sens de penser que nos enfants ne sont pas sécurisés dans un monde riche et moderne qui, par son évolution technologique, améliore la satisfaction des besoins (alimentation, santé, confort, loisirs). Pourtant, et là aussi l’évidence n’est pas flagrante, toute cette technicité qui entoure nos enfants dès leur plus jeune âge ne favorise plus la solidarité par le corps. Avant ces trente ou quarante dernières années, qui témoignent de l’incroyable essor du tertiaire et des progrès technologiques réalisés, c’était le couple qui était le garant de la protection sociale. De nos jours, le rôle de parents se résume trop souvent par géniteurs/payeurs qui, au bout de quelques dizaines de mois, finissent par considérer l’autre comme un boulet, une entrave à son développement perso et/ou délèguent, faute de volonté et de temps, l’éducation de leurs enfants à une nounou rarement d’enfer, une maman de jour au mieux lusitanienne, au pire Sud-Américaine, ou un système scolaire/municipal auquel la compagnie du gaz a coupé le chauffage émotionnel.
"Dans
les années d’après-guerre où tout le monde était pauvre, un enseignant
rencontrait un enfant difficile dans une classe de quarante. Aujourd’hui il
arrive qu’on trouve sept enfants difficiles dans une classe de 20" ((1)observation faite en France).
A cela il est possible de contre argumenter que la Suisse n’est pas la France , ou que cela dépend
des écoles. Pas faux. Sauf que, et encore dans l’ouvrage de référence, on
apprend que l’idéation suicidaire est 3,5 fois supérieure à l’université qu’à
l’école primaire. Il est peut-être excessif de vouloir mettre un pont entre "désécurisation
de nos enfants" et "suicide chez les ados", et que je passe trop facilement d’un
extrême à l’autre. Il n’empêche que le chiffre de la statistique de nos jeunes
suicidés n’a rien à envier à ceux de nos voisins européens.
Pourquoi ? Des
experts pluridisciplinaires se sont penchés sur le sujet pour essayer de
comprendre l’incompréhensible et amener un début de réponse qui, de toute
manière, ne sera jamais valable pour nous-même.
Il demeure tout de même que si la
vie à la mi-siècle passé était, pour notre regard moderne, merdique, que les
gosses passaient aux champs pour donner un coup de main avant ou après l’école,
et que les journées se comptaient en quinzaine d’heures, il y avait un engagement,
un but à atteindre, une raison de se lever le matin et de se retrouver le soir,
une raison qui aidait et valorisait l’attachement pour ces vieux qui étaient à
l’origine de notre vie terrestre. La
Vie avait un but et un chemin parsemé d’embûches que l’on
surmontait ensemble.
J’aurais presque envie de dire que,
de nos jours, l’avenir de nos enfants est livré clé en main. Jusqu’à la prise
de conscience qu’entre le rêve et la réalité il y a bien souvent une muraille
(presque) infranchissable.
Le système scolaire n’est qu’une
vaste entreprise de formatage dans laquelle le petit doit arriver déjà
socialisé par ses séjours en crèche, garderie ou chez les nounous du dessus,
afin que la maîtresse puisse suivre le programme sans prendre de retard.
Dans le vaste éventail de technique
de socialisation des tout petits il y a l’atelier « Né pour lire », un atelier proposé par la bibliothèque et le
Café d’accueil de Lutry à l’intention des enfants de 0 à 6 ans (une animation à
laquelle les plus grand-e-s sont aussi
les bienvenu-e-s).
Objectifs annoncés: Stimuler l’éveil et… la
socialisation des tout petits. Une socialisation qui peut également profiter
aux mamans
Selon l’animatrice des lieux, A.-L. Parisod, et en suivant le modèle Dolto, la Café d’accueil vise la
séparation enfants/parents en douceur : « Les parents restent tout le long, boivent un café et discutent. Les
enfants se détachent petit à petit. » Le tout sous la surveillance de
professionnelles de l’éducation et de l’enseignement (2).
Je n’ai absolument rien contre la
lecture, au contraire. Un parent et un livre seront plus enrichissants pour
l’esprit de l’enfant que le frigo et une télé. Seulement je trouve dommage de
confier l’exploration du monde de l’imaginaire à une inconnue pendant que maman
se fait de nouvelles copines en buvant le café.
Les bibliothèques vendent du rêve à nos enfants, avec notre
bénédiction, et nous les laissons croire qu’ils retrouveront ce monde onirique
en obéissant à cette sonnerie qui marque le début et la fin de chaque période
d’apprentissage, ou de la récréation ; apprentissage qui commence par
l’alignement en colonne par deux, en donnant la main à un petit copain, afin
que l’institutrice n’ait pas à les chercher, les appeler... And, « Follow
the leader » jusqu’à la classe.
Le début de onze années de bourrage
de crâne avec comme unique objectif la réussite de l’élève ; onze années
d’apprentissages par cœur de règles grammaticales, d’orthographe, de formules
mathématiques, d’histoire, de géo et d’autres connaissances générales qui
seront récompensées par un bout de papier, premier pas vers une indépendance
sociale que représente l’acquisition d’un diplôme.
L’école moderne veut se différencier de sa vieille sœur en
mettant en place des passerelles qui permettraient aux élèves de changer
d’orientation en cours de formatage, de passer d’une matière trop complexe vers
des sujets qui conviendraient mieux aux capacités d’assimilation de l’enfant.
En somme de délester les traînards vers des cours plus basiques, et vice versa
bien entendu. La sélection naturelle s’effectue avec le plus grand consentement
de parents, parfois complètement largués par les multiples remaniements de l’école
étatique obligatoire. Mais tant que c’est pour le bien de l’enfant, et que cela
fait baisser le taux d’échec du système scolaire...
Pour celles et ceux qui poursuivent
leurs études après l’école obligatoire, le rythme change, les matières se
spécialisent et le contenu se densifie. Mais le besoin ultime de la réussite que
demande la société et le corps enseignant demeure. Une volonté déjà quelque peu
critiquée par Paul Valéry il y a presque huit décennies : « Le but de l’enseignement n’étant plus
la formation de l’esprit, mais l’acquisition du diplôme, c’est le minimum
exigible qui devient l’objet des études » (3).
Pumba, mon neveu qui pète tout les quart d’heure, m’a montré
un de ses exercices en je sais plus quoi. Il devait calculer le déplacement
d’un cube, subissant une poussée horizontale, posé sur un autre cube, posé sur
une surface plane. Le tout avec des coefficients de frottement différents entre
le cube et la surface plane. Il a réfléchit un moment, a cherché la réponse en
fin de bouquin et fait le calcul à l’envers d’après les formules qu’il avait en
tête. Tout se dont nous avons besoin se trouve à notre portée, les réponses à
nos problèmes aussi… Cependant j’ignore encore si Mustapha a un lien de parenté
avec le Mu statique.
Le jeune adulte obtient ses
diplômes, fait la fierté de ses parents sur leur lieu de travail, parvient à
franchir la muraille grâce à la persévérance acquise sur un court de tennis,
trouve un job et fait appel à un coach en développement perso pour réussir son
entretien d’embauche, optimiser son rendement au sein de son entreprise et
parvenir à dire « Je t’aime » à sa future concubine…
L’indépendance tant attendue arrive enfin. L’adulte
néo-promu peut désormais gagner sa vie et tenter de se faire une place au
soleil avec des livres qui ne contiennent plus les bonnes réponses en dernières
pages.
« L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit, mais un feu qu’on allume »,
a dit Michel de Montaigne, il y longtemps. Cette citation est reprise dans un
article paru dans Le Régional (un hebdomadaire… régional) pour présenter un
atelier mis en place par la bibliothèque municipale de Vevey. Au travers des ateliers
philosophiques pour enfants, c’est le développement de la pensée critique,
créative, de l’estime de soi et, bien entendu, de la socialisation des enfants
de 6 – 14 ans qui est visé.
Connue en Suisse Romande grâce aux conférences et formations
de Michel Sasseville professeur à la faculté de philo de l’université de Laval
au Québec, la philosophie pour les tout petits et née aux States dans les
années 1970 sous l’impulsion du philosophe américain Mathieu Lipman (2).
C’est pour quand les ouvrages sur "Le Bushido, ou la voie de Pikachu" ;
"L’existence de Mario a-t-elle un sens",
"Des femmes et la DS" , ou "Comprendre le complexe de Jocaste" ? Les éditeurs seraient
dans les starting-block.
"En
Occident, il y a 30 ans, les filles étaient pubères vers l’âge de 13 ans. La
soudure de leurs cartilages sa faisait vers 14 ans, puis leur croissance
s’arrêtait. (…) Actuellement, dans les pays riches, les règles apparaissent
vers l’âge de 10 ans et de plus en plus souvent vers l’âge de 7 ou 8 ans !"
Le bisphénol aurait joué un rôle de leurre endocrinien causant l’accélération
de la maturation des ovaires. "La mixité
n’est peut-être pas non plus étrangère à ce phénomène quand les phéromones
mâles stimulent le diencéphale des femelles (cerveau précurseur des hormones).
Le climat, l’altitude, le stress, le sport, et d’autres causes hétérogènes
convergent pour déclencher ce phénomène hormonal." Chez le garçon, la
puberté est plus tardive et la soudure des cartilages se fait entre 16 et 18
ans.
"Depuis
que l’on considère les enfants comme des petites personnes, on s’adresse à eux
plus poliment, on leur demande leur avis, on s’extasie devant leurs réponses,
qui témoignent en effet d’une maturité précoce, surtout chez les filles. Les
progrès psychologiques des parents ont provoqué une avancée neuropsychologique
en accroissant l’autonomie mentale des enfants, aujourd’hui capables et encouragés
à exprimer leur monde intime. Cependant, nos progrès technologique ont provoqué
un retard d’indépendance, une dissonance entre autonomie et indépendance.
Autonome de plus en plus tôt mais indépendant de plus en plus tard
(obtention de diplômes oblige), les
jeunes éprouvent un sentiment de répression injuste, alors qu’ils n’ont
probablement jamais été aussi libres et respectés (1)". Ce qui a pour effet de créer des tensions, voire des
conflits, au sein d’un cercle familial déjà passablement mis à mal par la
morosité socio-économique qui gangrène une bonne partie de l’économie mondiale.
Pour les enfants qui se retrouvent livrés
à eux-mêmes, ils doivent affronter la désapprobation, voire l’incompréhension
de leurs parents, supporter les changements neurobiologiques qui surviennent
dans leur corps et trouver un espoir dans un monde qui part en couille. Pas
étonnant que les plus fragiles voient leur destin les éblouir dans la lueur des
phares de la motrice d’un train, ou survivent le temps de flinguer leurs
copains dans une salle de classe ou leurs collègues à la cafète de l’entreprise.
Ceci est bien sur le cas extrême, parce qu’avant cela il y a la zone dans la
rue, la clope, l’alcool, une p’tite beuh et la révolte anarchique.
L’école qui, à juste titre, ne voulait
pas jouer les éducateurs de bonnes manières, prétextant que cette tâche
incombait aux parents, se voit aujourd’hui indirectement mandatée par l’Etat
fédéral pour jouer les nounous. Cette démarche pourrait être intéressante, si
elle n’était pas orchestrée par l’Economie qui, pour mieux nous entraîner, a
revêtu son beau manteau de la
Prospérité.
Suivre le développement de son
enfant, c’est que du bonheur.
Sentir ses petits doigts relever votre paupière pour vous
réveiller ; entendre ses petits pas discrets le matin, deviner qu’il se
cache pour vous surprendre dans la cuisine, jouer la comédie et rire avec lui.
Retrouver une moissonneuse batteuse dans le frigo, Lewis
Hamilton et Shu Todoroki sous le duvet ou encore un dromadaire dans votre
chaussure.
Le voir discrètement tricher aux cartes, bousiller
joyeusement la tour en Lego qu’il vous demande sans cesse de reconstruire,
sauter sur le duvet quand vous changer la literie, le laisser croire qu’il est
bien caché alors que ses pieds dépassent sous la table du salon.
Etre agréablement surpris de constater qu’à cinq ans il lui
manque trois lettres dans l’alphabet ; de l’entendre vous répondre que 458
+ 3 font 461 ou encore, après lui avoir dit qu’il était l’heure d’aller au lit,
de l’entendre vous répondre qu’il reste encore 6 minutes parce qu’il est 20
deux point 24.
Et en ressentir une bonne fierté
parce que vous avez encourager et partager ses progrès et que vous n’êtes pas que le spectateur de son développement.
NEMo.
1 :
Boris Cyrulnik « Quand un enfant se donne la « mort ».
2 : Le Régional N° 648
3 : « Le bilan de
l’intelligence », Paul Valéry, 1935