mercredi 16 janvier 2013

(Non-) violence


Une résistance active, collective et militante.

          [Décalque de l’expression anglaise nonviolence, le mot apparaît en France au début des années 1920 à l’occasion des reportages que l’on commence à publier sur Gandhi. On y découvre une philosophie, un art de vivre, et une méthode d’action collective : utilisation des médias, manifestations, marches et défilés pacifiques, grève, boycott, non-coopération collective, désobéissance civile.]

La violence n’est pas la seule réaction possible de l’humilié. Telle est la conviction de ceux qui, à travers la planète, défendent la non-violence comme une arme de résistance à l’oppression et comme un levier de transformation du monde. Avec pour objectif de construire une société plus apaisée et plus humaine. En étant le premier à prôner la non-violence comme réponse à l’injustice et en la théorisant, Gandhi (1869-1948) passe aux yeux de ses admirateurs pour un visionnaire, pour un prophète des temps modernes. Mais pour d’autres, il n’est qu’un doux illuminé, dont le message inspiré des religions orientales appartiendrait au passé et perdrait toute pertinence hors des frontières de l’Inde. Il n’empêche ! En faisant du refus de la violence à la fois une philosophie et un mode d’action, le Mahatma pouvait-il imaginer qu’il donnerait naissance à une utopie qui continue à porter ses fruits 90 ans après ?
            De la « marche du sel » en 1930 en Inde, au mouvement des étudiants de la place Tian’anmen, en 1989, de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960 aux Etats-Unis avec Martin Luther King à la résistance albanaise d’un Ibrahim Rugova face à la répression serbe, à la fin des années 1990, du combat pour les droits de l’homme de la Birmane Aung San Suu Kyi (dès 1988) à la chute de l’apartheid en Afrique du Sud avec Nelson Mandela en passant par la défense des paysans sans terre en Amérique latine, ou encore la Confédération paysanne syndicat alternatif de José Bové, les Déboulonneurs dénonçant l’invasion de la publicité dans les rues des villes françaises, les multiples groupes d’Indignés ou les Cercles de silence protestant dans les centres urbains contre le sort réservé aux sans-papiers.
Des actions pacifistes contre les dictatures ont été menées au Guatemala et au Salvador en 1944 ;
en Bolivie en 1978, puis l’Uruguay en 1981 ;
en Pologne en 1980 ;
le renversement du Président Marcos aux Philippines en 1986 ;
1989 : la Tchécoslovaquie a connu une "Révolution de velours", tandis que le Mur de Berlin tombait ;
Madagascar en 1991 ;
la RDC en 1992.
Des actions contre la ségrégation ont eu lieu :
Aux Etats-Unis (1955 et 1963) ;
au Danemark en 1943 ; en Afrique du Sud (1906, 1950-1960, 1974) ;
et en Australie en 1988.
D’autres contre la guerre, contre l’occupation ou pour l’indépendance :
1967 aux States, contre la guerre du Vietnam ;
le mouvement "Peace people" irlandais de 1975 ;
la chaîne humaine pour la paix entre Israël et la Palestine en 1989.
Résistance contre l’occupation franco-belge en Allemagne en 1923 ;
contre l’armée soviétique en 1968 en Tchécoslovaquie, et bien sur le Tibet en 1987.
Le Ghana, la Zambie ou le Congo ont connu des mouvements de contestation non violente (respectivement 1948 ; 1953 ; 1958).
Une manif contre la torture fut organisée en France et en Algérie en 1957, en 1977 le "Mouvement des Mères de la place de Mai" dénonçait les mêmes pratiques en Argentines.
En 1974 l’Equateur manifestait pour des droits économiques et sociaux ; en 1984 le Brésil était témoin d’une action contre la déforestation de la forêt amazonienne.
En 1958 et 1973, les essais nucléaires français furent dénoncés dans le Pacifique et en 1981, en Allemagne, les manifestants désapprouvaient l’installation de fusées Pershing.

Bien que le XXe siècle fut le témoin d’environ 140 conflits, dont deux mondiaux, et quinze faisant plus d’un million de morts (on peut recenser 25 conflits avant 1939, et 115 depuis 1945), il est possible de dire que c’est l’action non violente, qui a marqué le siècle passé de son empreinte. Cette tendance pacifiste aurait, selon certains observateurs socio-politiques, quitté la sphère politique pour se répandre dans nos rues et se manifester au travers de nos habitudes. La création d’organisme de médiation sociale, les grands-frères qui arpentent les rues des quartiers sensibles, une petite brigade d’intervenants sociaux chargée de désamorcer d’éventuels conflits avant que ceux-ci ne dégénèrent en affrontements violents ; La volonté de ralentissement, du retour à la nature, du commerce équitable ou encore du manger bio, en serait également une expression. De même que la multiplication des veillées funèbres collectives et des marches blanches organisées en hommage à des victimes de la violence, sous toutes ses formes, pourraient bien être le témoignage d’une volonté sociétale de paix universelle.

Pourtant, et sauf erreur de ma part, il y aurait une quinzaine de conflits ouverts actuellement sans que l’opinion publique ne s’y intéresse plus vraiment. Il y a bien de temps en temps une petite poussée le système parasympathique qui réclame un arrêt des hostilités, mais dans les grandes lignes ce qui se passe loin de chez nous ne semble plus vraiment nous affecter. Plusieurs raisons me viennent à l’esprit : La visualisation de la violence qui est devenue, grâce à nos médias et à Hollywood, tout aussi banale que le découpage à la machette dans les jungles africaines ou asiatiques ; La soi-disant diminution des dommages collatéraux ajouté aux discours des chefs d’Etats qui nous décrivent leurs adversaires comme des agresseurs, des ennemis, des terroristes, des méchants personnages toujours fortement armés méritant de mourir sous des frappes chirurgicales ; ou encore parce que ce qui est Juste ne prévaut plus sur les choix du plus fort.

Pour ne l’avoir jamais connue, nous avons oublié ce qu’est la guerre. Je ne vais pas m’en plaindre. Mais une guerre, qu’elle se fasse dans des rues lointaines l’arme à l’épaule, ou derrière un joystick, reste une catastrophe humanitaire qui force des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à fuir leur domicile, leur maison, à tout quitter en emportant le strict nécessaire.
La première guerre du Golfe a poussé vers les frontières voisines près de 2 millions de Kurdes;
En 1994, au Rwanda, l’"Opération Turquoise" a provoqué l’exode de près de 3 millions de Rwandais ;
En 1999 ce sont 800'000 Albanais qui sont expulsés du Kosovo ;
2003 : L’opération "Liberté de l’Irak" a forcé au déménagement pas loin de 4 millions d’Irakiens dont plus de 2 millions qui ont fui le pays ;
Et près de 3 millions d’Afghans se sont réfugiés chez leurs voisins en 2011.
Combien de Libyens ou de Syriens, pour ne parler que d'eux, viennent s’ajouter au triste recensement des migrations forcées ?
Ce fait est accepté parce qu’il est vital, pour notre confort, que quelques barbus, fous de dieu, se fassent zigouiller ; parce qu’il est impératif, pour un Etat occidental, qu’un lointain pays maintienne ses frontières et ses institutions politiques, mises en place lors d’une époque colonialiste vieille de 50 ans.
Il y a quelques jours, tandis que les Rafales s’envolaient occire le méchant terroriste islamiste, entre 500’000 et 1 million de Français-es (suivant qui a fait les calculs) investissaient les rues de Paris pour manifester paisiblement contre le mariage pour tous.

NEMo.
Source :
Atlas des utopies, Laurent Grzybowski, journaliste  La Vie ;
Manière de voir 126, "L’Armée dans tous ses états".

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