vendredi 30 septembre 2011

Dictature de l'instant, fuite en avant, dans le mur.

De Jacques POGET, chroniqueur à "24 Heures".
J'ai bien aimé, alors vive le partage...

Paul Dembinski l'a dit à La Soupe, mais ce n'est pas un gag désopilant: sur les marchés financiers, "les deux tiers des transactions sont effectuées dans un horizon de moins d'une minute". Le Directeur de l'Observatoire de la finance constatait que les traders n'ont pas le temps d'évaluer les conséquences de leurs décisions sur l'économie, et que d'ailleurs "le sens des réalités économiques échappe en grande partie" à ces ingénieurs financiers fonctionnant dans "une sphère trop virtuelle par rapport à l'économie".

Là où la vie des gens et des entreprises se mesure en années et de préférence en décennies, ce marché mondialisé et totalement financiarisé compte en minutes; "donner du temps au temps" y serait une absurdité. Or il dicte sa loi tant aux acteurs de l'économie dite réelle qu'aux gouvernements demeurés à l'ère des nations et préoccupés de réélection. On reproche aux politiques une vision à court terme? Le marché entretient un rapport au temps et à la réalité infiniment plus nuisible, c'est la dictature de l'instant qu'il décrète.

Mais le marché n'est pas roi par hasard. Jamais les sociétés et les individus n'ont autant hypothéqué l'avenir. Financièrement: personne n'imagine que la dette des Etats et celle des ménages puissent un jour être remboursées. Ecologiquement: chaque jour un peu plus, l'homme prélève sur la nature davantage de biens non renouvelables et y rejette davantage de déchets qu'elle ne peut en absorber.

Dans notre rapport à la planète, nous consommons les intérêts et détruisons aussi le capital, car la "croissance" est à ce prix et, si elle cesse, tout s'effondre. Ou plutôt la vie telle que nous la concevons n'est plus possible, un fonctionnement différent s'impose.

Or la question n'est pas "si" mais "quand": l'exode vers d'autres planètes ne semble pas pour demain, et l'énergie non fossile, hypothétiquement à portée de main grâce au soleil et à l'hydrogène, ne remplacera ni l'eau ni les autres matières premières. Fuite en avant - dans le mur!

La "décroissance" (si mal nommée: il s'agit en fait de non-croissance des prélèvements sur le milieu naturel) sera d'autant plus difficile à accepter qu'elle interviendra tardivement, et que l'attribution des ressources résultera de conflits plutôt que de répartitions consensuelles.

La mondialisation économique et technique transforme l'humanité entière en une seule société, trop grande. Peter Sloterdijk parle d'"un collectif monstrueux" qui ne sait pas encore comment créer un lien social; le philosophe allemand cherche du côté des religions, "premières tentatives de synthèses méta-nationales et méta-ethniques".

On peut sourire de ces tâtonnements utopiques; mais il faudra bien une utopie, née de la crise, pour sauver l'humanité - si elle doit parvenir sans massacre à survivre en trouvant un équilibre avec la Nature.

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