samedi 25 janvier 2014

Un choix, parmi d'autres, à faire.

Dans ma période ado, il y avait une personne qui me scotchait à chaque fois que je traînais dans son magasin. C’était le disquaire.
Un ti bonhomme, juste pas rouquin, d’une trentaine d’années, sympa, serviable, patient, mais surtout incollable dans son domaine.
De Haydn à Samantha Fox, en passant par Iron Maiden, Mezzoforte, ou Chaz Jankel, il connaissait pratiquement tout ce qu’il y avait à savoir pour trouver le bon disque, quasiment du premier coup. Le Google Man du vinyle. Tu lui donnais un titre original anglo-saxon dans un anglais des Alpes bernoise, il te donnait la bonne galette ; tu lui fredonnais timidement un refrain approximatif, il te trouvait le bon morceau…
Mais comme rien ne dure vraiment…
City Disc est arrivé dans le centre comm’ et Disco Panorama a fini par fermer la porte.

Les premiers vendeurs City Disc avaient quelques connaissances liées aux produits qu’ils vendaient, mais ils n’avaient plus grand-chose de mélomane. Et le peu de savoir qui subsistait derrière le desk s’est vite évaporé, au rythme des engagements des nouvelles ‘’vendeuses’’.
Orange a racheté City Disc, puis City Disc a disparu du centre comm’ en même temps que le revendeur de musiques ou de films ouvrait son site internet pour les commandes ‘’en ligne’’.
Il reste encore la FNAC à Lausanne, plus gros, plus monstrueux, plus commercial, plus impersonnel…
Comme la FNAC vend aussi des livres manuscrits et imagés, je peux parler de la petite librairie ‘’C’est écrit’’, encrée sur la Place de la Gare, qui se bat depuis une décennie contre les ogres de la distribution postale sous 48 heures.

Simple, souriante et bourrée de charisme la proprio s’investit beaucoup pour maintenir sa boutique à flot. Normal me direz-vous. Ses connaissances en matière de bouquin sont également impressionnantes, sauf si vous cherchez une édition ‘’collector’’ des Schtroumpfs éditée en Mongolie.
Quand chez Payot, le mini géant concurrent local, une gentille vendeuse (ou gentil vendeur) vous indique dans quel rayonnage trouver un ouvrage, la tite libraire vous le sort. Et si elle n’a pas le livre sous la main, elle vous le commande. Le délai de livraison peut dépasser les 48 heures, mais ce n’est qu’un détail parce que si par hasard le livre ne correspondrait pas à vos attentes, elle se charge des formalités ‘’retour’’, ou l’intègre dans sa vitrine sans rechigner.
On pourrait aussi penser que les prix sont plus chers dans la petite boutique. Et bien, comparé à la FNAC Lausanne, elle peut allègrement majorer ses prix de 10% au moins. Main tenant c’est clair que si vous êtes l’heureux possesseur de la carte fidélité FNAC, les prix deviennent sans concurrences, aucune.
Par contre, et c’est là une différence plus qu’importante, au bout d’un certain nombre de visites, c’est la proprio qui vous fera d’elle-même un ti rabais, genre 10 % arrondi vers le bas.
Et là, si vous n’êtes pas trop coincé du citron, vous comprenez la générosité du geste, vous comprenez que c’est une partie de son beurre, qu’elle ne mettra pas dans ses épinards, qu’elle vient de vous offrir.
A la FNAC, les offres de prix, rabais et autres remises ne lèsent en rien le Big Boss du groupe, ce seront plutôt des ouvriers, suant dans la chaîne de distribution, qui devront se mettre au régime.
Et il n’y a pas que le FNAC qui menace les petits travailleurs indépendants du livre, ou de la musique, locaux. Il y a Amazon, par exemple. Là ce n’est plus David contre Goliath mais un truc genre la puce contre un Titan en armure.

Un Titan qui a fait 62 milliards de dollars de chiffre d’affaire depuis son entrée en bourse en 1997 ; un employeur qui fait passer au portique de sécurité et à la fouille corporelle tout son personnel sortant de ses dépôts, parce qu’il voit en chacun de ses ouvriers un voleur potentiel, et bien sûr les ‘’vigiles’’ sont placées entre la timbreuse et la sortie (ou le réfectoire ! ce qui fait perdre un temps considérable de ‘’pause’’ aux ouvriers) ; une société qui sous-paye ouvertement sa main d’œuvre et la conditionne scandaleusement pour augmenter le ‘’rendement’’.
Au Japon, Amazon a recruté des chèvres pour brouter le gazon aux abords d’un entrepôt. Des chèvres qui portent à leur cou un badge avec photo, nom et code barre, comme n’importe quel ouvrier humain.
On pourrait essayer de défendre Amazon en se disant qu’il fournit du boulot dans une Europe en crise ; que les habitants de Bad Hersfeld (Land de Hesse) ont de la chance qu’Amazon ait choisi l’Allemagne comme tête de pont européenne (huit usines logistiques implantées, plus une neuvième en construction). On pourrait...

Lors de la période des Fêtes, des équipes de nuits sont constituées et des intérimaires engagés. Dans les dépôts de Bad Hersfeld, le nombre d’employés est presque triplé ! Mais ce ne sont pas des ouvriers allemands qui sont engagés. « Chômeurs espagnols, grecs, polonais, ukrainiens, portugais convergent en autocar des quatre coins de l’Europe, enrôlés par des agences d’intérim. »
Si Amazon n’a pas encore remplacé sa main d’œuvre ‘’low cost’’ par des robots, c’est que les robots coûtent encore plus cher que les ‘’Hands’’ trieuses, empaqueteuses.
Pour pallier à ce problème, Amazon aurait déboursé 775 millions de dollars en 2012 pour racheter la société de robotique Kiva Systems.

Alors posons-nous la question de savoir QUI voulons-nous enrichir lors de nos achats ? Une humble travailleuse qui ouvre sa boutique tous les matins, et la referme tous les soirs, ou un arrogant personnage qui s’est retrouvé catapulté au 19e rang des milliardaires de la planète (Jeffrey Preston BEZOS, en l’occurrence) ?
Qui voulons-nous soutenir ? Le patron indépendant qui réinvestit la presque totalité de ses bénefs dans le recrutement d’un-e employé-e pour faire tourner sa boutique et lui permettre de prendre un peu de repos ou de grands distributeurs, qui font miroiter le spectre du chômage à leurs employé-e-s, pour les transformer en esclaves ?

Les grandes multinationales sont organisées « selon une idéologie bien définie », pour reprendre le journaliste allemand Günter Wallraf, qui clôt l’article de Jean-Baptiste Malet « Amazon, l’envers de l’écran », dans lequel j’ai pioché les passages concernant l’expéditeur international de marchandises, ainsi :
« Son système ne nous pose pas la simple question, neutre, de savoir si nous voulons ou non consommer sur son site internet ; il nous pose des questions politiques : celles de notre choix de société.»

Nemo.
 

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