dimanche 28 juillet 2013

Censure télé et manip'

De 1982 à 1986 c’est la Haute autorité (Haute autorité de la communication audiovisuelle / HACA) qui était chargée de donner les autorisations de diffusions radio et télé. Elle était composée de neuf membres : trois désignés par le président de la république (F. Mitterand) ; trois choisis par le président de l’Assemblée nationale et trois autres désignés par le Président du Sénat. Autant dire que le HACA était dirigé par une volonté présidentielle même si l’organisme était présenté comme d’autorité indépendante et présidé par une journaliste : Michèle Cottaz.
De 1986 à 1989 le HACA devient la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL). Une autorité administrative toujours indépendante dont les membres, passant de 9 à 13, sont toujours choisis par le gouvernement du moment. C’est aux alentours de cette époque que les privatisations ont commencé.
Dès le 17 janvier 1989 l’autorité de régulation de l’audiovisuel (télé et radio) en France change à nouveau d’appellation : le CNCL devient le fameux Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Le président choisi toujours les membres chargés d’appliquer son autorité et le nombre de ses membres redescend à 9.
Le CSA "choisit" les personnalités qui seront à la tête des grands groupes de l’audiovisuel et des médias français.
Dernièrement, Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a présenté un projet de loi selon lequel « le Président de la République ne nommera que le président de l’institution au lieu de trois membres » précédemment, le CSA passant de 9 à 7 membres.

Actuellement il s’applique en France une censure préventive menée par deux organismes.
La Commission de classification des œuvres cinématographiques, pour le cinéma et la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence (publications pour la jeunesse). Tous deux recevant mandat par le ministère de la Culture.
Tous les programmes que nous visionnons sur l’écran de notre télévision d’abord, puis sur nos moiPhone ou iPad, passent immanquablement sous les regards avisés et décodant de ceux qui doivent décider à partir de quel âge les oreilles peuvent entendre dire « Sale enculé de ta race, ta mère n’est qu’une sale putain » ; définir à quel âge une décapitation, un homme passant sous un camion, une femme se faisant violer, un humain recevant de la bave d’extra-terrestre sur le visage, les cours de philanthropie de Saw ou Freddy Kruger ne dérangent plus les esprits.

Les chaînes françaises opèrent une censure quotidienne de leur contenu en triant dans un premier temps ce qui peut être vu ou entendu en fonction des tranche horaires de programmations (celles et ceux qui se sont tapés les redif’s des Experts ont vu toute la chronologie des séries bouleversée par la censure), ensuite en supprimant parfois des reportages via les rediffusions internet. www.rue89.com/2013/04/24/television-francaise-championne-censure-241766
Mais le contrôle de ce que nous pouvons voir et entendre ne s’arrête pas là.
 
Deux exemples : Le premier trouvé est un article de Martin Winckler "La vie à suivre", lu dans Le Monde hors-série "La vie en série". Le second sur ma télé.
L’auteur de l’article parle des diverses productions américaines qui ont enrichi le kaléidoscope des séries visibles de l’autre côté de l’Atlantique, en les décrivant comme de "bonnes" histoires, parfois parodiées, inspirées par l’évolution des mœurs, de la vie sociale ou n’importe quel autre sujet ayant captivé l’opinion public dans un proche passé, ou d’actualité (Homeland, par exemple); sans omettre la multiplication à l’infini des enquêtes judiciaires et policières, les séries racontent souvent, en parallèle au sujet principal de l’épisode, des histoires d’hommes ordinaires confrontés à des situations plus qu’ordinaires. Ce qui permet aux téléspectateurs de s’identifier aux multiples hommes/femmes héro/héroïne de leurs séries fétiches. A tel point que la série Urgences a pu faire naître des passions pour la médecine dans un large public il y a quelques décennies, ou que les Experts et ses dérivés ont encouragés des carrières de policiers scientifiques tout comme elles ont réussis à s’incruster dans notre système judiciaire.
Combien sommes-nous à avoir "défendu" Sue Ellen ou Pamela ?
Combien de mecs n’ont pas imaginé voir courir les secouristes d’Alerte àMalibu sur la plage de leurs vacances ? Lesquels se sont reconnus dans les addictions refoulées de Warrick ?
Fringe, en plus de revendiquer une certaine continuité de X- Files, est une bonne série SF dans laquelle se joue un drame familial quasi quotidien tout en permettant aux téléspectateurs d’imaginer une autre réalité grâce à leur "univers parallèle".
 
Revenons à ces exemples de douce manipulation télévisuelle…
Dallas était, selon la critique française, « ce que l’Amérique avait de pire à produire ».
Dallas, dont on a eu droit à une suite 30 ans après la diffusion du premier épisode, est une série qui fit, selon M. Winckler, l’objet d’un des plus grand malentendu concernant les séries télévisées américaines. « Diffusée par TF1 dans une version française calamiteuse, elle établit solidement dans l’intelligentsia de gauche triomphante, l’idée qu’une série américaine est juste bonne à laver le cerveau des téléspectateurs » alors qu’Outre-Atlantique cette même série fut considérée « comme l’une des meilleures et plus grinçantes satires d’un milieu (pétroliers texans) et d’un genre (soap opéra) ».
 
Dans un tout autre registre, vraiment aux antipodes de Dallas, il y eut, dès les années 1970, l'apparition des mangas japonais sur nos petits écrans : Albator, Capitaine Flam, Ken, Nicky Larson, Cobra, etc… en plus  de tous ceux réservés aux filles et dont je ne me souviendrais jamais des titres, à l’exception de Candy.
Pour toutes ces séries animées, j’ai un souvenir de scénarios tournant autour de la baston sans grandes réflexions ou à des moments de drague un peu foireux. Pourtant, Albator cachait une œuvre environnementale tandis que les aventures du Capitaine Flam pourraient être un dérivé nippon de la magnifique saga Star Trek que les pontes de l’audimat français ont eu tant de peines à nous programmer sur les chaînes hertziennes.
Dernièrement je me suis offert le premier coffret DVD de l’intégrale de Goldorak. Une fois le plaisir du premier générique passé, une certaine perplexité s’installe voire une légère déception. Ce que racontent les "images" ne colle pas toujours avec les dialogues.
Par curiosité, et pour le plus grand bonheur du p’tit Norrin (allez comprendre pourquoi… ?), je passe le tout, ou presque, en version originale sous-titrée. Le verdict est sans appel : Goldorak a perdu son âme pendant son adaptation à la version française. A l’exception d’un ou deux panneaux, dont celui annonçant l’arrivée sur le domaine du Ranch du Bouleau blanc, rien ne permet de situer les aventures de Goldorak au Japon. Tous les braves personnages terriens ont des noms se référant à la voûte céleste ou se rapprochant d’une certaine mythologie; lorsque Gandal ordonne à Blakki (respectivement Minos et Hydargos) d’attaquer Tokyo, les UFO de Véga explose Persépolis ;
Alcor n’est plus l’ancien pilote de Mazinger Z, et les réticences de Daisuke/ Duke Fleed (Actarus le Prince d’Euphor) à se remettre aux commandes de la monstrueuse machine de guerre qu’est Grendizer (le Goldorak) sont effacées au profit d’un dialogue plus …‘’soupe au lait’’.
Alors qu’en visionnant un épisode de Grendizer sur Dramacafé TV (une chaîne télé arabe), on peut se rendre compte que les traducteurs locaux ont gardé les noms d’origines (Daïsuke, Koji, Hikaru, etc…).
Quant aux titres donnés aux épisodes, démontrent-ils une volonté des autorités responsables des programmes que nous visionnons de nous faire passer le peuple nippon pour une nation guerrière, sanguinaire et belliqueuse, incapable de la moindre poésie ?
En premier le titre japonais, puis le titre français (sans que l’inscription à l’écran ne change…).
‘’Qu’elle était verte ma terre’’ devient ‘’Le prince d’un autre monde’’ ;
‘’Amour flamboyant au soleil couchant’’ devient ‘’Le traquenard de la mort’’ ;
‘’Dépasser sa colère face à l’impardonnable’’ devient ‘’Le camp de la lune noire’’ ;
‘’Celui qui rêvait d’atteindre les étoiles’’ devient ‘’L’espion qui venait de Véga’’ ;
‘’ La fillette qui traversa l’arc-en-ciel’’ devient ‘’Du sang sur la neige’’
et ainsi de suite.

Pour en finir avec cette manipulation télévisuelle, je vais vous parler de Cassiopée, une jeune fille clouée dans une chaise roulante après une avalanche causée par un golgoth. A la fin de l’épisode, la fillette se retrouve, selon son vœu secret, face au Prince d’Euphor, qui a transformé son Goldorak en un magnifique trois mâts flottant dans les airs. Et pour le rejoindre, Cassiopée doit traverser le pont de l’Arc-en-ciel.
Ce qui, en bref, donne en VOST vs Version Française :
Alcor (vost):
 « Monte sur l’Arc-en-ciel »
Actarus (vf):
« Viens jusqu’à moi par le pont de l’arc-en-ciel. »
La fillette (qui s’est levée de son siège et a fait un pas en avant):
« Mais je… je ne peux pas marcher »
« Mais je suis complètement paralysée. »
Actarus :
« Regardes, tu te tiens debout. Allez, un petit effort, viens. »
« Pour être digne de rencontrer un prince il faut être capable de fournir un gros effort. »
La fillette traverse et :
« J’ai réussi à le traverser… »
« Je suis arrivée à traverser le pont arc-en-ciel… »
Actarus :
« Oui… Tout ira bien désormais. »
« Ce qui prouve que tu peux marcher si tu le veux. »
La fillette :
« Je serai courageuse, promis. »
« Une femme est capable de tout, pour faire plaisir à un prince. »
Les féministes apprécieront.

On pourrait hasarder que ce n’est qu’un dessin animé pour enfants qui de toute manière ne captent rien, ou pas grands choses, aux dialogues. Pourquoi pas… Sauf qu’aujourd’hui, quand tout le monde s’acharne à vouloir défendre les droits d’auteurs, la propriété intellectuelle et je ne sais quoi d’autre, cette honteuse manip’ ressemble à de la trahison. Et cela ne touche pas que Grendizer.
Star Trek, The Defender, M*A*S*H, pour ne parler que de ces séries, furent censurées pendant de longues années ;
La vie à tout prix était le titre français de Chicago Hope;
La version française de Tout le monde aime Raymond est catastrophique et la VF de The Sopranos est ridicule ;
Grey’s anatomy, New York District/ Law & Order, Urgences ou encore Dr House ont eu droit à des scènes coupées ou un doublage français aléatoire.

Toujours selon Martin Winckler, dont j’ai tiré les quelques noms des séries ci-dessus dans son Petit éloge des séries télé [Folio, 2012], TF1 continuait, en 2011, à couper des scènes et à réécrire en français les dialogues de ses séries vedettes.

En dépit de tout ceci, je continue de croire que la télé, sous toutes ses formes de diffusions ou de supports, reste un formidable outil d’abrutissement massif doublé d’un moyen de contrôle des populations redoutablement efficace.

Jeff.

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