dimanche 30 juin 2013

Frontières..

‘’Le terme frontière est apparu au XIIIe siècle et représentait la ligne de front établie par une armée.’’

Au XXIe siècle, bien que l’armée ne contrôle plus l’intégralité des frontières morcelant notre planète, ce sont toujours des hommes en uniformes, armés et possédant de multiples moyens de contrôles de pointes qui gèrent et surveillent les déplacements des populations entre les Etats souverains.
Avant l’éclatement de l’URSS il y avait 220'000 kilomètres de frontières. Après la destruction du Mur de Berlin et l’implosion de l’Union Soviétique, 27'000 kilomètres supplémentaires de murs ‘’invisibles’’ ce sont érigés pour séparer les nouveaux Etats ; auxquelles s’additionneront celles de l’ex-Yougoslavie qui a vu surgir, dans un territoire qui, en 1918, se nommait « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes », la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, la Serbie, la Macédoine, le Kosovo et le Monténégro.
Ailleurs… Le Moyen-Orient n’en finit pas de se déchirer, les Corée sont divisées, le Soudan rêve de sécession. Chaque ethnie enfermée dans des limites qui ne lui sont pas naturelles, rêve d’indépendance.

Au tout début des années 1990 la chute du communisme a fait naître l’idéal d’un monde pacifié, sans frontières, dans lequel chaque être humain pourrait circuler librement et surtout faire commerce sans contraintes. Les représentants des nations démocratiques accueillirent unanimement la chute du Mur comme une victoire de la liberté, permettant enfin d’appliquer l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien ».
En 1991, le Conseil de l’Europe se félicitait de ce que « des changements politiques permettent à présent de se déplacer librement à travers l’Europe, ce qui constitue une condition essentielle à la pérennité et au développement des sociétés libres et de cultures florissantes ».
Avec le démantèlement du rideau de fer plusieurs dizaines de millions de personnes ont pu donner une nouvelle dimension au rêve de Winston Churchill quand il parlait des « Etats-Unis d’Europe » et se retrouver devant les vitrines des boutiques de lingeries féminines, ou celles des concessionnaires automobiles de voitures de luxe.
Sauf que cette liberté est morte au lendemain de son éveil quand on rappela d’abord que « le droit de se déplacer librement, comme prévu par des conventions internationales, n’implique pas la liberté de s’installer dans un autre pays ».
Et l’on ne tarda pas de rendre l’immigration illégale.

Cette pensée protectionniste pourrait s’expliquer par ce qu’à subi l’économie Allemande pendant la première décennie qui suivit sa réunification. L’ex RFA s’est retrouvée, pratiquement du jour au lendemain, avec 6 millions de concitoyens supplémentaires qui ont pu accéder aux services publics (santé, transports et tout ce qui va avec). D’abord dopée par la réunification, l’Allemagne nouvelle a connu, dès 1993-1994, une crise sans précédent. La plus grave crise économique et sociale depuis 1945 à laquelle le gouvernement du moment répondit par une fuite en avant néolibérale qui entraîna une dérégulation du marché du travail, réorganisation des activités financières et bancaires, privatisation des services publics et la nécessité de créer 3,5 millions de nouveaux emplois avant la fin du millénaire…
Pour éviter que le rêve d’une liberté démocratisée ne ruine les Etats européens, le Mur de Berlin a été remplacé par les grillages de Schengen dès 1995 et les barbelés de l’agence Frontex dès 2004.
De 1992 à fin 2011, plus de 17'000 personnes sont mortes aux portes de l’Europe, dont plus d’un tiers de 2008 à 2011.
En 2006, à la Conférence de Nice, Monsieur Nicolas Sarkozy salue « les efforts pour contenir ‘’l’émigration illégale’’ vers l’Europe ». Une terminologie qui viole ouvertement les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; tout comme les accords de réadmission qui se signeront dès 2004 et les années suivantes avec des Etats comme l’Albanie, la Russie, la Moldavie, l’Ukraine, la Serbie, la Bosnie, la Macédoine, le Monténégro, la Géorgie, le Pakistan, la Turquie et tous les pays du Maghreb…
L’Europe s’est élargie mais son accès s’est restreint. Chaque année de nouvelles règles, de nouvelles lois, de nouvelles restrictions… Chaque année plus d’immigrés, chaque année plus de morts.

Pour justifier tous ces morts les gouvernements nous parlent de ‘’terrorisme’’, de ‘’lutte contre le chômage’’ et activent des ‘’clauses de sauvegardes’’, renforçant la ‘’frontière’’ dans son rôle de protection contre des invasions barbares, contre l’afflux subit d’humains n’ayant pas la même couleur de peau que la population locale, se nourrissant d’animaux de compagnie, pratiquant la sodomie à tout va et s’exprimant par jurons ou au travers d’éructions idiomatiques incompréhensibles.
La frontière préserve donc un périmètre de sécurité dans lequel une population peut exprimer ‘’librement’’ sa manière de vivre, ses mœurs, ses us et ses coutumes.

Petit listing des décisions européennes valorisant les libertés de migrations [L’Atlas du monde diplomatique] :
1990 :
Convention de Dublin qui confère à un seul Etat la responsabilité de la demande d’asile.
1992 :
Création de l’Union Européenne à Maastricht;
Résolution pour l’harmonisation des politiques d’asile. Introduction des notions de :
- « pays sûrs »,
- « demande d’asile infondée »,
- « fraude délibérée à l’asile »;
restrictions pour le regroupement familial, restrictions de l’admission de travailleurs.
1995 :
Convention de Schengen.
1996 :
Décision sur l’«asile interne »: maintenir les réfugiés dans les « zones sûres » de leur propre pays.
1999 :
Traité d’Amsterdam: normes communes sur l’asile, la circulation des personnes et le contrôle des frontières.
2001 :
Conseil de Laeken: coopération pour renforcer le contrôle des frontières extérieures.
2002 :
Conseil de Séville (beaucoup de mesures liberticides ont été décidée cette année là):
La lutte contre l’immigration clandestine devient une priorité absolue. Aide au développement conditionnée aux engagements des pays de départ pour contenir la migration ;
Maroc : loi dite « 02-03 » sur le délit d’immigration « irrégulière ».
2003 :
Directive « accueil » : normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile. Limitation des déplacements et de l’accès à l’emploi des requérants ;
Directive « regroupement familial » : restrictions sur le droit de vivre en famille ;
Dublin II : premier pays atteint par le requérant d’asile est le seul habilité à traiter la demande (renvoi vers ce premier pays).
2004 :
Création de l’agence Frontex ;
Règlement Eurodac : base unique de données (empreintes digitales) en application du règlement Dublin II.
2005 :
Directive « procédure d’asile »: confinement des demandeurs dans des lieux spéciaux.
2006 :
Opérations d’interception de la Frontex : Hera (Canaries) et Nautilus (Malte et Sicile) ;
Conférence euro-africaine de Rabat : plan d’action liant codéveloppement et lutte contre l’immigration dite « illégale ».
2008 :
Directive « retour », dite « de la honte » : conditions de détention préalable plus sévères et éloignement des étrangers facilité ;
Conférence euro-africaine de Paris, dite « Rabat II » : application de la Politique européenne de voisinage (PEV) ;
Algérie : loi sur le délit d’émigration « illégale » et loi sur le délit d’immigration et de séjour italienne décidée en 2009.
2011 :
Conseil européen : augmentation des moyens et des pouvoirs de l’agence Frontex…

Une touche positive pour finir, avec la participation de John Warn Gates, vendeur de barbelés, Texas, années 1870 :
« C’est la meilleure clôture du monde. Aussi légère que l’air. Plus forte que le whisky. Moins chère que la poussière. Tout en acier et longue de plusieurs kilomètres. Le bestiau n’est pas né qui pourra passer au travers. Messieurs, relevez le défi et amenez vos bœufs. »
139 ans après l’invention du fil de fer barbelé on n’a toujours pas trouvé mieux pour tenir à distance les personnes indésirables.
Si ce n’est les vastes et silencieuses étendues d’eau de la Méditerranée, de l’Atlantique de l’océan Indien, etc… qui ne pardonnent pas la moindre défaillance.

Pourtant une frontière n’est-elle pas cette limite au-delà de laquelle l’aventure et l’exploration commencent ? La frontière n’est-elle pas cette limite au-delà de laquelle la crainte de l’inconnu est un sentiment vivifiant qui éveille nos sens et nous apporte l’énergie nécessaire pour de nouvelles découvertes et la rencontre de nouvelles ‘’cultures’’ ?

NEMo.
Sources et inspirations: Manière de voir N°128, « Faut-il abolir les frontières ? » ; L’Atlas du monde diplomatique « Mondes émergents ».

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