vendredi 15 juin 2012

De l'"abandon" à l'assistance.


"Où règne l'esprit de famille, règne le bonheur."
[Photo d'une médaille exposée dans la vitrine de Mr. Favez, photographe de notre district (Vevey).]

Différentes enquêtes assez récentes menées par l'OCDE se sont amusées à calculer le "Bonheur Intérieur Brut" de chaque pays, dont la Suisse évidemment.
Je ne vais pas revenir sur les conclusions éditées dans nos médias, mais quand même relever que l'OCDE a joliment zappé les sujets ayant traits à la famille, axant leurs investigations sur des domaines plus… financiers et matériels, dirais-je.

Deux-tiers des mariages finissent en eau de boudin en Suisse, et presque autant d'enfants qui vivraient dans des familles monoparentales ou recomposées, avec tous les tracas que cela comporte.
Mais comme disait un psy du couple, cela fera plaisir à l'enfant d'avoir deux anniversaires, deux Noël, deux fois plus de cadeaux en somme.
Pour le plus grand bonheur de Mattel, Disney & Co et des fabriques asiatiques.
C'est oublier un peu vite que les douces séparations sont aussi pénibles à supporter pour des enfants en pleine construction "psychologique" que les séparations violentes. Si un gosse de six ans peut intégrer la "peur" que représente son père pour sa mère et comprendre que l'éloignement est garant de sécurité, comment va-t-il interpréter le message de ces deux adultes, en qui il a une totale confiance, quand ils viendront lui dire, le sourire en coin, que si son univers est détruit, ce sera mieux pour LUI?
Le désir vrai et sincère du petit garçon réclamant un "câlin à trois", s'oppose de front à la conclusion des fins psychologues qui encouragent les séparations.
Mais nous savons tellement mieux que nos enfants de ce qui est bien pour eux… comme la "perte" d'un parent.

S'ensuit le début du ballotage de gauche à droite, le transbahutage matinal pour se rendre à la crèche, à la garderie, à l'école, chez la maman de jour, les grands-parents ou encore la cantine scolaire… avant de retrouver une mère qui galère plus de douze heures par jours pour joindre les deux bouts et maintenir un semblant de cohésion au domicile familial.
L'enfant, qui n'a plus qu'un seul repère dans toute cette tourmente, fera tout, au début, pour "faire plaisir" à sa maman en attendant, impatiemment, un sourire et l'instant du câlin apaisant et tranquillisant. Un témoignage d'affection qui ne viendra que trop tardivement et trop brièvement, ou jamais.

La fillette qui, à l'approche de Noël, répondra à sa mère qu'elle désire comme cadeau que "Papa revienne à la maison", ne sera pas exaucée. Les vieux ne comprendront que le "manque", et ne verront pas forcément la détresse qui se cache derrière se vœu que les adultes définiront d'irréalisable. La fillette séchera ses larmes et apprendra à ne plus réclamer son père, ni plus rien d'autre d'ailleurs…

Pour les moins malchanceux, un "beau"-papa fera son irruption dans l'univers de l'enfant, perturbant un calme relatif qui venait enfin de s'installer. Ce nouveau venu, ce papa de substitution, finira par être génial et rigolo. L'enfant l'adore, le second papa fait le joli-cœur, maman écarte les jambes et arrive une sœur ou un frère utérin-e, qui prendra la place qui lui revient de droit, aux yeux du père, dans le cercle familial recomposé.
Agressivités et discriminations remplaceront le "génial" et le "rigolo", tandis que l'aîné, devenu ado, n'attend plus que le moment où il pourra quitter ce lieu dans lequel l'Amour a disparu.
Je n'en ferais pas une généralité…

Combien d'enfants ont vu leur apprentissage de la vie jalonné par les réprimandes, les reproches et les menaces? Combien sont-ils à avoir entendu de la bouche de leur mère qu'elle aurait mieux fait de le/la laisser avec son connard de père ou pire, d'avorter?
Combien de ces gosses ont été amputé de leur bonheur de vivre dès leur plus jeune âge pour finir éduqué par les "Simpsons", "MTV", "M6", "Facebook" & Co et certifié par l'école?
Comment espérer que dans nos belles et rutilantes sociétés quelque chose soit entrepris pour inverser la tendance alors que la Famille est sacrifiée, avec les enfants, sur l'autel de la réussite socioprofessionnelle?

La quête de l'"Excellence", la formation des "Elites", est encouragée par une volonté "latérale" qui ne souhaite pas que la main d'oeuvre s'encombre de gamins, de malades, de vieillards et de mourants.

L'enfant devenu un autiste émotionnel sera trié et formaté pendant une scolarité que certains veulent continue; L'ado sera converti au néolibéralisme agressif pour qu'adulte il soit un parfait et rentable petit soldat.
Peut-être fera-t-il partie de cette part sans cesse croissante d'ouvriers, d'employés, de petits patrons indépendants qui finissent en "Burn out", stressés, ulcérés et qui s'emmerdent pendant leurs vacances parce qu'ils ne savent pas quoi faire de leurs deux mains en dehors d'un environnement professionnel, qui leur fera comprendre, tout au long de leur carrière, leur inutilité quand l'âge de la retraite viendra.
Peut-être que cet enfant deviendra un de ces vieux qui nous emm* en nous passant devant dans les files d'attente aux caisses des supermarchés. Un de ceux qui n'ont toujours pas compris que nous ne sommes que des numéros à la Poste; Qui traînent sur les passages piétons quand le feu est "vert" pour les voitures, se perdent derrière leur volant en plein centre-ville au milieu de ce foutoir de circulation, ou encore font ièche les CFF à vouloir se déplacer quand les autres vont se faire exploiter par des patrons avares.

Le monde social que nous avons brièvement connu agonise.
Au delà des crises qui remplissent les colonnes de nos médias, se profile une autre crise tout aussi destructrice: Un conflit générationnel.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que "jeunes" et "vieux" peinent à se comprendre, mais de nos jours le "conflit intergénérationnel" semble déborder des limites du cercle familial et, aidé par les multiples difficultés financières que les populations de tous les âges rencontrent, il pourrait se retrouver dans nos rues.
Que deviendront les fondements de la solidarité intergénérationnelle mis en place le siècle passé, et que représente le mieux l'AVS, quand la jeunesse future démunie, ruinée et oppressée refusera de prendre à sa charge le relatif confort de "ceux qui étaient là avant"?

Aujourd'hui nous n'en sommes pas encore là.
Cependant nous sommes entrain de dire à tous ces vieux qui squattent les centres-villes dans des appartements "protégés", qui nous coûtent cher en assurances avec leurs soins à domiciles, EMStifs ou paliatifs; Qui embêtent (pour rester poli) un personnel, pourtant payé pour s'occuper d'eux, avec leurs histoires de solitude à deux balles, qui occupent des lits presque froids, et brisent les coucougnettes de leurs enfants, devenus adultes, pour avoir un peu de leur présence avant de passer l'arme à gauche.
A tous ces vieux, que nous ne voulons plus avoir dans notre champ de vision, mais qui ont sué pour que nous puissions profiter d'une Vie  luxuriante, nous leur disons:
"Eh bien mourrez maintenant."
Nous leur disons qu'ils peuvent aller se suicider pour gratuit pas cher, pour une modique somme qui ressemblerait à une promo Denner ou Lidl: Chez Exit, quarante francs le suicide assisté (c'est le montant qu'a lâché Monsieur Sobel (Président d'Exit, dont le fond de commerce est la mort saine) lors d'une interview croisée avec Monsieur P.-Y. Maillard dans le "24 heures" du lundi 11 juin).
Belle mentalité n'est-il pas?

J'imagine parfaitement les cas de tétraplégies irréversibles, de comas, de personnes vivant sous assistance de machines, des cas qui seront les exemples par excellences de la légitimité d'une intervention extérieure, humaine et définitive. Sans parler bien sur des maladies orphelines et/ou incurables qui méritent toutes les attentions quand le patient est ado…
Question de rentabilité, peut-être…
Sauf que ces cas ne feront que servir les intérêts de celles et ceux qui refuseront le sacrifice de leur vie matérielle pour s'occuper de leurs proches, ou l'inverse.
Parce que la question englobera bien toute la frange des néo-retraités qui refuseront de se voir vieillir.

Monsieur le docteur Sobel, dont la consonance du patronyme me rappelle furieusement une triste époque du siècle passé, se dit prêt à "suicider" toute personne qui seraient "à l'hiver de leur vie", ou "atteinte de pathologie invalidantes, c'est-à-dire un ensemble de maladie qui lui rende la vie de plus en plus difficile, que sa situation va se dégrader jusqu'à sa mort". N'est-ce pas là, la définition de la Vie pendant la vieillesse?
Ce que confirme  Sobel quand il décrit qu'une personne "fatiguée de la Vie" est une personne qui  "a de la peine à marcher, qu'elle a des problèmes d'incontinence, qu'elle est malvoyante, que ceux qu'elle a aimé sont déjà mort", et de nous interpeller: "Pourquoi voulez-vous que nous lui imposions de continuer un purgatoire sur Terre?"
Se pose-t-il dès lors en démiurge salvateur qui parle au nom d'un petit nombre "seul capable de convoquer leur propre mort"?
Sauf qu'un certaine forme de dégénérescence physique dans un premier temps, puis psychologique, nous menace toutes et tous. Faut-il alors suicider tout le monde à titre préventif pour ne pas avoir la mauvaise surprise de découvrir qu'une "Puissance" qui nous surpassera TOUJOURS a décidé de nous emporté vers d'autres horizons, et ce indépendamment de notre volonté.
Ma cinquième lombaire me fait souffrir, la prostate commence à se faire sentir, je commence à voir des choses qui n'existent pas, j'oublie certaines adresses et mes gosses me détestent. Autant en finir tout de suite, avant que les choses n'empirent.
Je ne sais pas s'il est utile de la rappeler, mais dans une mort naturelle, nous ne mourrons jamais en bonne santé. Si un organe lâche pendant une nuit de sommeil ou pendant la journée, c'est qu'il était fatigué, usé ou défaillant. Et, de toute manière, vieillir cela se mérite.

Je me demande également si toutes celles et tous ceux qui voteront "Oui" au suicide assisté ce week-end, s'ils, ou elles, sont prêt-e-s à donner de leurs propres mains les cachets fatidiques à leurs parents, à installer la dernière perf, ou encore à faire personnellement, et devant leur famille, l'injection létale?
Débranché un "vieux" sous assistance respiratoire est compréhensible et rentre dans l'Ordre des choses. Mais qu'en est-il pour les autres, pour nos enfants?
Les histoires de ces mères qui ont, pour des raisons intimes et médicales,  mis un terme de leurs propres mains aux souffrances de leur enfant ne sont pas courantes, mais elles défrayent à chaque fois les chroniques et, paradoxalement, ces personnes m'inspirent à la fois le Respect et une profonde Tristesse.

D'une manière plus "générale" et pour que le règne du Désespoir ne s'empare pas de nous, et de nos proches ancêtres, ne serait-il pas temps d'offrir à celles et ceux qui quitteront le monde du travail, qui souffriront dans leur chair et dans leurs os, de la gratitude, de la présence, de la motivation, ou de l'Amour tout simplement pour ce qu'ils ont accompli avant nous?

NEMo.

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