mardi 9 septembre 2014

Sonneries et sirènes.

Donc une bonne partie de notre temps est régulé par des impulsions ou des alertes sonores qui attirent notre attention, indiquent que c’est notre ‘’tour’’ ou marquent le début d’un événement.
Et par conséquent elle indique tout aussi la fin d’une période ou que c’est au ‘’suivant’’.

Les deux premières sonneries dans les préaux de l’enseignement public et supérieur marquent l’heure du rassemblement, puis le début du travail scolaire. Pendant le reste de la matinée et ensuite de l’après-midi, la sonnerie, tributaire d’un programme qui impose son horaire, va réguler les périodes d’apprentissages. Indiquant, alternativement, le début et la fin de ces périodes, jusqu’au moment où la sonnerie ‘’libère’’ et va offrir un moment de répit, une pause, une ‘’récréation’’, la fin de la matinée ou de la journée.
C’est alors une impressionnante masse de pensées différentes et divergentes, d’esprits se battant pour conserver le peu de liberté qui leur reste qui se réunit pratiquement au même endroit.
Les amants se retrouvent, s’exposent ou se cachent maladroitement ; les amis se réunissent ; les clans se regroupent ; des agoras se forment ; une sorte de contre-pouvoir à l’ordre établi naît, prend forme.

Apparaît alors un petit problème pour l’Etat qui pourrait considérer comme dangereux tout regroupement de personnes alors que la démocratie et la liberté individuelle font partie des fondamentaux de l’institution politique : Comment contrôler et minimiser les effets des regroupements ?
Simplement en créant du mouvement, en canalisant cette masse d’énergie qui veut s’émanciper vers différents lieux d’enseignements. Passages au casier pour prendre les bonnes affaires; changement de classe, d’étage ou de bâtiment ; piaffer d’impatience dans la colonne qui mène au micro-ondes ; trouver une place à la cafèt’, courir à la sandwicherie ou au Mc Do, etc.
Les étudiant-e-s n’ont plus trop le temps de s’arrêter pour poser leurs pensées loin des oreilles indiscrètes, alors ils/elles causent du dernier match, de « The Voice kid », du dernier clip d’untel, du string de l’autre, de shoes, de paillettes et je ne sais quoi d’autre…

L’enseignement moderne qui favorise ponts et passerelles a aussi cet effet, en plus d’une re-socialisation discriminante. L’élève qui apprend moins vite que les autres sera vite réorienté vers une classe différente. Pour son ‘’bien’’. Idem pour celui qui fait preuve de facilité, à condition qu’il ou elle fasse des heures sup’ le samedi matin en classe de rattrapage.
Et puis, les classes s’organisent et se réorganisent en fonction des choix ‘’options’’ multiples que propose l’enseignement public et supérieur.
Une gymnasienne me confiait dernièrement qu’elle changeait plusieurs fois de classes par jour et par semaine ; que sa classe ‘’générale’’, n’était pas la même que celle des maths, qui n’avait rien à voir avec la classe d’italien, etc.
Les ami-e-s qui seraient désuni-e-s par les programmes scolaires trouvent toujours un point de ralliement, si les différents horaires auxquels ils/elles sont soumis le permettent. Autrement il y a les transports publics bondés qui restreignent l’intimité aux écouteurs du smartphone vissé dans les oreilles ou les réseaux sociaux, qui eux, sont sous contrôles.

Un autre secteur de l’enseignement qui peut diviser et réorganiser les groupes tout en renvoyant la solidarité sur les bancs de touches, c’est le sport et l’esprit de compétition qui lui est intimement lié. Vous faites courir un groupe d’enfants entre 4 et 6 ans, ou vous les faites jouer au ballon. Sitôt qu’il y en a un qui tombe ou se fait mal, tout le groupe s’arrête et entoure le petit copain blessé. Chose impensable en compétition une fois l’âge ‘’adulte’’ atteint. Si nos petites têtes blondes veulent rapidement s’inscrire dans un club sportif, l’école n’est pas en reste avec ses ‘’cross’’, pour les tous petits, et les ‘‘joutes sportives’’ qui clôturent les années scolaires.
A l’uni, le neveu a été chronométré sur une course d’endurance. Son prof a fait un savant calcul sur le temps (indicatif) qu’il devrait réaliser lors des prochains 10 km de Lausanne. Et il sera noté sur sa performance.
Les sportifs de haut niveau se côtoient régulièrement le plus sympathiquement du monde, mais une fois sur le terrain, il n’y a plus de cadeaux. Le peloton ne s’arrête pas pour une chute, même collective ; le sport automobile va au bout de l’épreuve avant que les pilotes ne retrouvent un semblant de solidarité. Dans les sports d’équipes le rôle de régulateur social revient à l’arbitre et le sommet du blues de la compassion est à accréditer à l’UFC ou MMA : Tant que l’arbitre n’intervient pas les adversaires peuvent joyeusement se massacrer. On est loin des franches parties de rigolades qui animaient les « Jeux sans frontières » ou les « Intervilles ».

Revenons à nos sonneries, plus précisément aux sirènes qui retentissaient pour indiquer aux ouvriers que le travail d’usine ou de chantier allait commencer. Ou se terminait.
Comme les étudiants se retrouvent en fin de matinée ou de journée, les ouvriers se regroupaient lors des moments de répit que la sirène leur octroyait. La solidarité s’affichait et s’exprimait du début à la fin de la journée et pouvait continuer de vivre autour d’une bière dans le bistroquet du coin. L’ouvrier qui quittait son lieu de travail exténué pouvait trouver, au milieu de ses collègues qui partagent les mêmes efforts quotidiens, une énergie qui rendait la fatigue plus ‘’légère’’. Sans oublier que toutes ces pensées communes, ces vies de travail, de blessures et de fatigues en commun est un terreau dans lequel le syndicalisme pousse bien.
La question qui s’est peut-être posée en son temps, était de savoir commun restreindre les regroupements, donc les risques de voir des mouvements sociaux se former, en empêchant qu’ils se créent ?
Tout simplement en supprimant la sirène de chantier et en la remplaçant par une timbreuse. A ce changement radical, qui a fait du bien à de nombreuses oreilles dans les villes et villages concernés et renvoyé toutes les compagnes à leurs horloges, est venu s’ajouter l’horaire libre.

Du coup, de l’ouvrier à l’employé, tous ont eu l’impression qu’ils reprenaient le contrôle de leur ‘’temps’’, qu’ils contrôlaient l’horaire de leur vie au quotidien, qu’ils leur semblaient que le temps était libéré. L’imposante masse ouvrière se dissout pour se reformer par petits groupes : Les ‘’lève-tôt’’, les ‘’couche-tard’’ et ceux qui ne changent rien à leurs habitudes professionnelles. La solidarité entre collègues ne se soude plus dans l’effort de l’atelier ou l’entraide au bureau mais tisse ses liens, en grande partie, dans la multiplicité des distractions qu’a mise en place la société des loisirs. Etonnament les loisirs, sportifs ou de divertissements, sont liés au statut social de l’individu, à son intégration professionnelle ou à sa volonté de lécher le cul de ses supérieurs.

En suis-je à me demander si le monde se porterait mieux si des sirènes régulaient notre temps de travail ? Que nenni, que point. J’ai juste écrit cet article suite à une longue discussion avec de vieux bonhommes qui ont remarqué des changements sociaux avec la disparition de la ‘’sirène’’. Et aussi quelques étudiants des hautes écoles. Et franchement, en parlant ‘’Sirène’’, celle des forces de l’ordre, des pompiers ou encore les essais annuels de la Protection civile, qui n’interpellent que les réfugiés fraîchement débarqués, me suffisent.

Nemo.

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