dimanche 14 septembre 2014

Tout gratuit, une idée farfelue?

Je pourrais imaginer que le 20 minutes qui traîne sur une banquette de train, ou un siège de bus, soit feuilleté par le passager qui vient et tous les suivants, et qu’ainsi il jouerait un rôle d'informateur ‘’social’’ au lieu de ne s’adresser qu’à un seul individu.
Sauf que j’en doute, vu que tout le monde, ou presque, a son journal gratuit.
Prenez bêtement les taxis présents devant une gare. Il y a encore quelques années, un ou deux chauffeurs achetaient les journaux, et les quotidiens remontaient tranquillement la file. Le "hic" de l’histoire, c’est qu’en fin de journée, les sports étaient chez le rital, la nécrologie chez le plus âgé de la bande qui recherche ses potes perdus de vue et les nouvelles locales chez le seul Suisse de l’équipe.
Soucis disparu avec la venue du gratuit.

Le gratuit est présent partout, de la salle d’attente du docteur à la banquette arrière du taxi en passant par la cafète, à côté de la machine à café ou au restaurant d’entreprise ou encore chez le revendeur de pneus. Ce qui fait que tous les lecteurs et lectrices du 20 minutes reçoivent les mêmes infos météo, lisent les mêmes prévisions astrologiques et discutent des mêmes sujets. Informations qui sont trop souvent les mêmes que celles fournies par votre opérateur de téléphonie mobile via Google et compagnie.
De ce point de vue là, le lavage de cerveau de la population est bien ordonné.
Le ‘’gratuit’’ peut aussi être créateur d’emploi, dans le sens où il y a toujours une bonne poire, dans chaque entreprise ou département, qui va piocher un bonne dizaine de journaux avant de se rendre à son travail. Mister Twenty. Que l’on ne remercie plus à la longue et qui n’aurait jamais investi entre 20 et 30 francs quotidiennement pour plaire à la galerie.

Si je prends un 20 minutes et un 24 Heures, les deux journaux ne seront pas traités de la même manière.
Au café, le 20 minutes est celui que l’on lit rapidement et que l’on met en bout de table. Le lecteur suivant passe et demande si : « Il peut ? ». Pour un autre quotidien, on demande plus facilement si : « Vous avez fini avec… ? », le journal que vous avez près du coude.
Le 20 minutes fini le plus souvent sa vie de journal comme un vulgaire chien abandonné par un ‘’maître’’ peu scrupuleux, sur la route des vacances. Tandis que le 24 Heures est trié dans la corbeille à papier de la maison. Même si c’est celui que l’un de vos collègues vous a donné.
Serions-nous moins attachés à ce qui est gratuit?
Un comportement similaire peut s’observer avec les téléphones portables. Chaque 18 mois, sauf erreur, tout abonné peut refaire son abonnement auprès de son opérateur de cœur et profiter d’un téléphone gratuit tout neuf. Et celui qui ‘’perd’’ son précieux portable ne pleurera pas la perte de son appareil (au pire il fait un nouvel abonnement avec un nouveau téléphone tout neuf), il se plaindra de la perte des infos contenues dans son smartphone.

Autre question : Est-ce que le fait de donner de l’argent pour un objet, rend cet objet ‘’important’’ ?
J’aurais tendance à dire que oui. D’abord parce que les parents ont l’habitude de dire à leurs marmots que les jouets, ou objets, qu’ils ont entre les mains « coûtent chers » et que cette ‘’cherté’’ est parfois assimilée à la dureté d'un travail. Ensuite, et pour aller un peu plus loin dans la ‘’valorisation’’ du travail et/ou de l’objet, il y a l’explication que m’avait donné un pote, il y a quelques temps déjà : Depuis qu’il avait augmenté les tarifs de son cours de voile, après que sa ‘’business woman’’ de compagne ait tout calculé, il avait plus de clients qu’avant. Argument avancé supposé : Plus c’est cher, de meilleure qualité cela doit être.
Ta fille laisse tomber sa bague achetée chez Claire’s dans le lavabo : tu t’en fous. Ta meuf perd sa bague sertie d’un microdiamant, que tu lui a offert pour je ne sais quelle raison, au même endroit : Tu deviens plombier.
Sauf que nous ne paierons jamais un objet, une marchandise, ou un service à sa valeur réelle, qui est de zéro, mais pour rémunérer la seule valeur subjective qui se monnaie sur Terre. C’est-à-dire : Le travail de l’homme, de la femme ou de l’enfant ; ainsi que la supervision du chef, du patron, du directeur et ses bonus en passant par les dividendes des actionnaires.

Prenez les avocats, les notaires, les médecins et tout ceux qui ont fait de hautes écoles supérieures. Leurs ‘’honoraires’’ se justifient par le nombres d’années supplémentaires passées dans les salles, pardon, les auditoires de cours. Tandis que l’employé d’usine ou la vendeuse Denner,  qui n’ont pas plus d’intérêt aux yeux de leur direction respective qu’en a Amazon pour leurs chèvres qui ‘’tondent’’ la pelouse autour d’une usine au Japon, reçoivent un salaire. Le premier, qui vous facture 250 balles un courrier dans lequel la moitié des écrits sont d’incompréhensibles politesses, est-il plus important que les simples employé-e-s transformé-e-s en maillons organiques d’une chaîne d’assemblage robotisée ou d’un système de distribution déshumanisé ?
Bref…

Si je m’insurge contre la vente de tous produits animaliers ou issus de l’agriculture, parce que c’est la Nature qui fait tout le boulot, jusqu’à la récolte, je vais concéder, du bout de lèvres, une ‘’valeur’’ minime aux objets que l’humain (hommes et femmes) a inventé par assemblages ou transformations ainsi qu’au ‘’Savoir faire’’ qui l’accompagne.
Quand j’achète un objet neuf dans un magasin, je paie pour toute une série de ‘’petites mains’’ qui ont façonné et amené le dit objet du lieu de l’extraction de la matière première à la boutique dans laquelle il est exposé ; quand je donne de l’argent à un brocanteur, je le récompense pour ses heures de recherches et le travail d’entretien/restauration qu’il a effectué. Idem chez un antiquaire, un magasin de ‘’deuxième main’’, le Galetas du Centre Social Protestant, etc.
Mais quand un particulier vend un objet à un autre particulier, quel lien, autre que sentimental ou utilitaire, peut-il avoir avec la marchandise vendue ?
Quel ‘’prix’’ peut-il demander pour un objet, quel qu’il soit, qu’il a usé et utilisé jusqu’à ce qu’il ne lui plaise plus, et dont il veut se débarrasser ?
Va-t-il définir la valeur de l’objet indésirable en faisant un savant calcul qui va tenir compte de l’utilisation potentielle qu’en fera son nouvel acquéreur, ou va-t-il simplement chercher à se faire le plus de fric possible avant d’acheter l’objet qui le remplacera ?

Du coup, ne serait-il pas plus simple et plus juste de le donner ?
La santé financière vacillante d’une frange grandissante de la population fait que nous ne nous posons pas la question, et le besoin ‘’pressant’’ d’argent de cette même population peut la pousser vers les ‘’Vides greniers’’, les ‘’Marchés coffres ouverts’’ ou autres ‘’Marché aux puces’’. Tout se vend et tout s’achète. Peut-être…
Il y a un peu plus d’une année, un Monsieur plein d’idées politiquement incorrectes, a inauguré le ‘’Marché gratuit’’ veveysan, dont la dernière édition en date s’est déroulée, sous un beau soleil, le dimanche 7 septembre 2014. La concurrence était rude ce jour-là : « Air 14 » polluait une dernière fois le ciel de Payerne, et environs ; la « Braderie » à Aigle attiraient les jeunes en quête de ‘’sensations’’ et les bourges des environs exposaient leur Ferrari au Grand Prix de Montreux.
Quelques sonores raisons pour ne pas aller sous la Grenette (en haut de la Place du Marché de Vevey), histoire de voir et de profiter du calme de ce fameux ‘’Marché gratuit’’.
Les consignes pour y être exposant sont simples :
1° - Vous amenez ce dont vous n’avez plus l’utilité et vous l’exposez sur une ‘’table’’ mise à disposition ;
2° - En fin de journée, vous ramenez chez vous tout ce qui n’a pas trouvé ‘’preneur’’.
3° - Si vous trouvez sur une ‘’table’’ voisine quelque chose qui vous intéresse, vous faites comme les rares badauds : Vous le prenez. Comme ça, sans autre… Quoique…

Les fouineurs qui viennent pour la première fois sont amusants. Ils passent timidement les colonnes de la Grenette. Ils farfouillent. Et quand ils ont déniché un objet qui leur plaît, ils cherchent quelqu’un à qui demander : « Ca coûte combien ? »
Je me dis que si quelqu’un que tu ne connais pas, vient te demander un renseignement, c’est que tu as quand même l’air un peu sérieux. Non ?
Alors tu réponds, le plus sérieusement du monde : « C’est gratuit.»
Dès cet instant, tu perds beaucoup de ta crédibilité. Tu deviens certainement un badaud lambda qui incite au vol. Donc tu expliques à ton interlocuteur le principe altruiste de ce Marché gratuit et tu l’orientes vers Yvan, l’organisateur, pour de plus amples informations. Même si tout a déjà été dit.
Et là, il se passe une chose incroyable : L’homme repose l’objet qui l’intéressait et sans va. Par contre la touriste Russe qui m’a posé la même question, quelques minutes plus tard (je rappelle que je n’ai rien à voir avec l’organisation de l’événement), est repartie tout sourire avec une jolie peinture représentant un cheval au galop. Ouf.
Ce qui m’a peiné ce jour-là, fut d’entendre une mère de famille refuser à sa fille ‘’Desigual’’ de prendre un porte vêtements mural. Un joli objet en bois qui formait une ‘’vague’’ de deux collines verdoyantes, sur lesquelles avaient poussé trois champignons géants rouges.
Motif du refus: « Il est cassé ! »
Comprenez : Il manquait deux suspends horizontaux en bois, sur cinq.

Cela m’a renvoyé à notre rapport à l’argent qui nous permet de tout acheter et à la ‘’vision’’ que nous pourrions avoir des choses ‘’gratuites’’.
D’abord, nous savons pertinemment que rien ne sort gratuitement du système économico-financier actuel. Tu vas dans n’importe quelle manifestation qui a fait sa pub dans le 20 minutes ou tu recours à je ne sais quel service qui a utilisé le même média, tu participes financièrement, par le billet d'entrée que tu paies ou la facture du prestataire de service, à la pub qui t’a convaincu de faire ceci ou d’aller à tel endroit, via le journal que tu as gratuitement pris dans la caissette.
Ton téléphone est gratuit avec ton nouvel abonnement ? Ben non. Tu le paies mensuellement via la facture de ton opérateur. On t’offre une quantité infinie de services gratuits, mais n’accepte JAMAIS « d’être mis en relation directe » avec le numéro que t’as demandé au 118 218. Il y a d’autres trucs que le généreux opérateur pratique pour récupérer de la thune. Le fameux ‘’Roaming’’, ou le transfert de données depuis l’étranger (pour les Suisses). Faut se gaffer parce que ça douille !
Les cartes fidélités, que tu remplis joyeusement en achetant tout ou n’importe quoi et qui te permet de ramener chez toi un linge de bain ou un lot de casseroles inox garanties à vie, ou la ‘’Super card’’ Coop qui te permets d’accéder à un catalogue qui te montre tout ce que tu pourrais avoir, à condition d’avoir assez de ‘’Super points’’. Et tu dis « Merciiiiii » quand on t’offre quelque chose que tu as patiemment payé.
Là ce sont objets et marchandises, que nous avons indirectement payé, qui nous sont offertes. Nous jouons le jeu parce que nous sommes habitués à ces retours de cadeaux qui récompensent notre soumission au système économique actuel.
En règle générale, quand un inconnu vous donne un objet, sans rien demander en échange, sans relation commerciale, notre premier réflexe est la prudence. L’individu doit, en quelque sorte, gagner notre confiance pour que nous acceptions de prendre ce qu’il nous offre. Alors que nous accordons une confiance immédiate aux représentants et vendeurs, parce que leurs supérieurs leur font confiance. Même si la nuit tombée ils deviennent des ‘’Serials killers’’ ou des narcotrafiquants. Ca c’était pour l’individu.

Maintenant… Comme nous avons pris l’habitude, en léchant les vitrines, de voir que plus c’est cher, plus c’est beau ou de qualité, si quelqu’un nous donne un objet, gratuitement, qu’est-ce qui me dit que cet objet n’est pas foutu, que c’est une m….. que son ancien proprio veut se débarrasser ? Rien.
Ca me rappelle l'histoire de cet homme, qui n'était pas tout seul dans sa tête, et qui avait décidé d'offrir du chocolat à chaque personne qu'il croiserait dans les allées du centre Migros/ Midi-Coindet, à Vevey. Beaucoup de personnes se sont demandées si les chocolats ne contenaient pas de la drogue?
Ben non, les petits chocolats emballés dans leur joli papier argenté étaient "clean".

Avec la gratuité comme modèle de relation humaine s’en serait fini de tous échanges commerciaux boostés à l’hypocrisie. Fini de demander aux passants comment ils vont pour leur soutirer une signature au bas d’un contrat. Fini de supporter les exigences à la con des clients qui se croient supérieurs simplement parce qu’ils paient. Fini d’emmerder les vendeuses avec des vannes stupides et des allusions mal placées simplement parce qu’elles sont obligées de sourire. Fini d’acheter pour ‘’paraître’’. Fini les spéculations meurtrières.
Ok. Dit comme ça, cela ressemble à une envolée utopique d’un ultra communiste à gauche de la Gauche qui sera, de toutes manières, combattue par nous savons qui.
Par contre, dans le ‘’monde’’ des marchés de l’occasion, la ‘’gratuité’’ se pratique déjà à une grande échelle. Vous en doutez ? Demandez à toutes ces femmes qui donnent les vêtements, de leurs enfants devenus trop grands, ce qu’elles en pensent. Et les chaussures. Et les jouets. Et les sièges autos. Et tous les accessoires encore en état de marche qui entourent bébé.
Alors… Farfelue, la gratuité ?

Nemo.

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