Quoique accoutumé aux arguties, le Parlement
israélien a accueilli le 8 février 2011 un débat plutôt étrange sur le « problème de l’assimilation »
des femmes juives compagnes de Palestiniens. Organisatrice de la rencontre, la
députée Tzipi Hotovely, présidente de la commission pour la promotion des
femmes du Parlement, a expliqué : « L’identité juive est l’un des principaux objectifs de [la] commission » et « malheureusement le phénomène du
mariage mixte concerne surtout des femmes juives qui épousent des
musulmans ».
Parmi les intervenants se trouvait M. Benzi
Gopstein, dirigeant du groupe extrémiste Lehava (« Prévention de
l’assimilation en Terre sainte »), une organisation connue pour son
apologie de la haine et de la violence contre les Palestiniens et les
demandeurs d’asile africains. Lui-même s’est distingué, entre autres, pour son
éloge de l’homme qui avait poignardé un non-juif soupçonné de vouloir séduire
une femme juive. Au lendemain de sa condamnation à dix-huit ans de prison pour
meurtre, en juin 2012, M .
Gopstein déclara : « C’est
triste de voir un Juif jeté en prison alors que, à l’instar de Simon et Lévi,
il ne fait que préserver l’honneur d’une fille d’Israël, Dans un Etat juif
normal, il aurait reçu une médaille. Cet homme est un héros et non un
criminel. »
De son côté, le Dr Zvi Tsamaret, alors
directeur général du ministère de l’éducation, estime que les écoles « sont en train de fournir des efforts pour
renforcer l’identité juive pendant les cours, en éduquant les élèves aux
valeurs de la famille ». Sous son mandat, le ministère de l’éduation
décida d’interdire l’enseignement de la Déclaration universelle des droits de l’homme
dans les écoles car elle stipule le droit de chacun à se convertir à une autre
religion et à déménager dans un autre pays. Autant de dispositions qu’il
estimait contraires aux valeurs promues par le système éducatif.
Il ne faut pas croire que Mme Hotovely
appartienne à un parti marginal de droite. Elle est membre de la grande formation
au pouvoir qui préside aux destinées d’Israël depuis près de trente ans :
le Likoud. Non seulement le débat tenu par la commission ne li causa aucun
tort, mais elle gagna en popularité et fut même promue par son parti aux
élections primaires de 2013. Quant au Dr Tzamaret, il n’appartient pas au parti
extrémiste Israël Beitenou de l’actuel ministre des affaires étrangères Avigdor
Lieberman ; il n’a fait que suivre les directives de son ministre d’alors,
M. Gideon Saar, membre du principal courant du Likoud et qui occupe désormais
la fonction de ministre de l’intérieur. A ce titre, il œuvre activement à
l’emprisonnement des demandeurs d’asile, sans aucune forme de procès.
Le premier ministre Benyamin Netanyahou n’est
pas en reste. Devant un parterre de chrétiens israéliens désireux de s’engager
dans l’armée et confrontés à l’opposition de la communauté arabe, il s’est
laissé aller, affirmant : « Nous
appliquerons la loi et poursuivrons toute personne qui tentera de vous empêcher
de vous enrôler et de contribuer à l’Etat juif. » Puis, se rappelant
la nature de son auditoire, il rectifia, parlant de « notre Etat et notre société ». Déjà, en 1997, durant son
premier mandat de premier ministre, il avait provoqué un énorme scandale en
soufflant à l’oreille du grand rabbin cabaliste Kadouri que « la gauche a oublié ce que cela signifie
d’être juif ».
(…)
Ainsi quand une personnalité politique de
droite – ou centriste – veut vilipender un adversaire, elle l’accuse de
soutenir « un Etat pour tous ses
citoyens », expression la plus détestée car elle signifie des droits
égaux pour tous. Pour la droite et le centre, Israël ne peut être qu’un Etat
juif – un Etat qui défend la suprématie juive. Au point que, fin décembre 2013,
la députée du Likoud Miri Regev, ancienne porte-parole de l’armée israélienne,
a déposé un projet de loi interdisant le droit d’association à toute
organisation « qui nie le caractère juif de l’Etat ». Si ce projet de
loi a peu de chance d’être voté – le gouvernement a récemment rejeté une
proposition de loi similaire -, il reflète à coup sûr les intimes convictions
de la rue.
La droite bénéficie également du fervent
soutient de rabbins racistes. Trois cents d’enre eux, en majorité des
fonctionnaires de l’Etat, ont notamment pris la défense du rabbin de Safed, M.
Shmuel Eliyahu, qui a émis un psak
(ordonnance religieuse) interdisant aux Juifs de sa ville de louer ou vendre un
bien à un non-Juif. Le procureur général a jugé inutile de les poursuivre en
justice. Dans le livre Torat Ha’ Melekh,
écrit par plusieurs rabbins, il est écrit que, « s’il y a une raison de croire que des enfants de gentils [les
non-Juifs] puissent un jour nous nuire,
il est permis de les tuer délibérément ». Là encore, le procureur
général a décidé de ne pas engager de poursuites.
En janvier 2010, le projet de loi prévoyant la
distribution équitable des terres appartenant é l’Etat entre tous les citoyens,
juifs ou palestiniens, déposé par le député arabe israélien Ahmed Tibi a été
rejeté. En Israël, la plupart des terres palestiniennes ont été confisquées à
leurs propriétaires au lendeman de la guerre d’indépendance de 1948 – mais dans
les faits, elles ont été saisies de nombreuses années après la guerre, à des
citoyens « techniquement » israéliens. Ce mot à son importance :
jusqu’en décembre 1966, les citoyens palestiniens d’Israël vivaient sous
administration militaire. S’ils avaient accès au vote et étaient également
éligible, leurs droits civiques étaient sévèrement restreints.
Mais cette égalité de jure ne s’est jamais traduite par un partage du pouvoir. Aucun
parti palestinien n’a jamais été intégré à la coalition au pouvoir. Même Itzhak
Rabin, illustre martyr de la gauche sioniste israélienne, n’a jamais permis aux
Palestiniens de rejoindre sa coalition :Ils étaient invité à la soutenir
de l’extérieur. Etre exclu de la coalition signifie que vous n’avez aucun
contrôle sur les allocations des ressources publiques. Ainsi, les villes à
majorité palestinienne reçoivent moins de subventions et d’aides que les
autres. Les Israéliens palestiniens n’ont pas accès à une série d’avantages
sociaux réservés aux Juifs qui ont fait leur service militaire. Pas étonnant
alors que 53% des Palestiniens soient considérés comme pauvres.
Quand on parle d’Israël, l’occupation de la Cisjordanie est souvent
la première question soulevée. Mais l’occupation, et la volonté d’Israël
d’annexer des zones entières de la Cisjordanie , n’est qu’un exemple, quoique le plus
grave, du concept de suprématie juive, endémique et droite. Israël a dû
faire face à un flux considérable de demandeurs d’asile africains,
essentiellement originaires d’Erythrée et du Soudan, la droite s’est totalement
déchaînée. Pour M. Netanyahou, les cinquante-cinq mille demandeurs d’asile
constituent une « menace nationale »,
et il a érigé un mur le long de la frontière égyptienne. Le gouvernement a créé
des centres de détention où ces derniers pouvaient être emprisonnés pendant
trois ans, sans procès équitable. La
Cour suprême a fini par abolir cette loi, mais le
gouvernement s’est contenté de réduire la période de détention maximale à un
an.
L’apologie du racisme était habituellement le
lot de l’extrême droite israélienne, notamment du parti Kach du rabbin
nationaliste Meir Kahane, assassiné en 1990 à New York après avoir été membre
de la Knesset ,
dont il a ensuite été exclu. Frappé d’interdiction de se présenter aux
élections de 1988, ce parti a été déclaré organisation terroriste après le
massacre du tombeau des Patriarches en 1994 : Baruch Goldstein y avait
froidement assassiné vingt-neuf Palestiniens. Plusieurs adeptes ont néanmoins
essayé de se faire élire. En vain.
On peut expliquer leur échec par le fait qu’ils
ne sont plus nécessaires dans le paysage politique. Kahane avait l’habitude de
dire que « dans tout Juif, il y a un
petit Kahane », et il n’avait peut-être pas tort. Mme Hotovely et M.
Danon pourraient aisément appartenir à son parti. Des adeptes mécontents de
Kahane ont révélé que l’actuel ministre des affaires étrangères, M. Lieberman,
est un ancien membre du parti Kach. Il n’a pas démenti. Par ailleurs, le
vice-président de la Knesset
et membre du Likoud Moshe Feiglin a rédigé un projet de Constitution
ouvertement proche des idées du rabbin Kahane. Les positions de ce dernier,
autrefois interdites, sont devenues monnaie courante en Israël.
Cette hystérie constitue un démenti cinglant
aux allégations de la droite, qui se prétend soucieuse de la sécurité des
citoyens. Ce qui la dérange vraiment, c’est qu’il y ait des non-Juifs en Israël
même. En mai 2012, les députés Regev et Danon ont organisé dans le sud de
Tel-Aviv un rassemblement contre les demandeurs d’asile qui a viré à l’émeute :
des Africains ont été attaqués par la foule déchaînée et leurs échoppes brûlées,
souvent après avoir été pillées. Après avoir enflammé les foules en traitant
les Africains de « cancer »,
Mme Regev a tenté de se rétracter, malgré un beau lapsus : « Je n’ai jamais comparé ces infiltrés à des êtres
humains. » Le gouvernement n’a pas levé le petit doigt.
Pour la grande majorité de la droite, la
citoyenneté israélienne est une coquille vide et creuse : seul compte le
fait d’être juif ou non. L’utilisation du terme « Israélien » dénote
une filiation à gauche car il intègre tout l’éventail de la population. Parler
aujourd’hui des « Israéliens » revient à reconnaître que tous les
citoyens israéliens – pas seulement les Juifs – sont des compatriotes. M.
Shimon Pérès n’avait-il pas affirmé après sa défaite électorale de 1996 que « les Israéliens ont perdu et les Juifs ont
gagné » ?
Dommage que le président Pérès ait oublié ses
propos. Officiellement les « Israéliens » n’existent pas, le
gouvernement ne les reconnaît pas. Si les citoyens d’Israël étaient avant tout
israéliens plutôt que juifs ou arabes, citoyen d’une même république, le
gouvernement ne serait-il pas contraint de les traiter sur un pied d’égalité,
ce qui n’est pas le cas, de nombreux droits étant réservés à ceux qui
effectuent leur service militaire, c’est-à-dire les Juifs ? Et les
tribunaux, encore et toujours, ont donné leur accord. En octobre 2013, la Cour suprême a décrété que « l’existence d’une nationalité israélienne n’a
pas été établie ». Quand le gouvernement lui-même, soutenu par la
justice, refuse de considérer Israël comme une République, la suprématie juive –
actuel cheval de bataille de la droite – remporte une victoire après l’autre.
Ecrit par: Yossi
Gurvitz, journaliste et photographe, Tel-Aviv.
N.
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