mardi 5 mars 2013

Quelque chose du passé.

En 2005 la Coop, grand distributeur agroalimentaire d’Helvétie en conflit perpétuel avec Migros, son principal concurrent, pour savoir lequel des deux piquera le plus de pognon aux consommateurs, rachète la chaîne de magasins EPA. Quelques mois plus tard, l’EPA de Vevey ferme définitivement ses portes. Fini le magasin dans lequel on trouvait de tout pour pas cher, fini le meeting-point des grands-mamans en quête de rideaux, les pyjamas Calida, les dessous chics de l’Armée rouge, les gaines Playtex, les vynils ringards, le micro supermarché du sous-sol et le restaurant social du premier. Un resto dans lequel vous pouviez rester un après-midi entier sans rien consommer  et qui voyait même passer des écolières venant y faire leurs devoirs.
Le personnel EPA a été requalifié et dispatché en fonction des besoin de la Coop dans ses enseignes vaudoises. Quelques chanceux ont pu travailler dans le nouveau supermarché construit 500 mètres plus à l’Ouest ; d’autres ont, par la force des choses, réorienté leur carrière professionnelle (comme un des cuistots qui bosse au SAV de Conforama) ; le solde, à défaut de timbrage chômage, a anticipé sa retraite.

Donc, en 2005 la Coop a racheté un concurrent pour mieux s’en débarrasser après. Et en fermant l’EPA, la Coop a méchamment compliqué la vie économique des commerçants du quartier Vevey-Orient.
Aujourd’hui, cela fait presque 7 ans que les lieux sont désertés et vide de toutes occupations (en faisant abstraction de la présence sporadique de quelques expositions itinérantes, et du passage du festival Images).
Alors, quand un média romand s’empare du sujet pour annoncer la venue du discounter national, et esclavagiste moderne, qu’est Denner (qui soit dit en passant a fait de même avec les enseignes Pick Pay, avant d’être repris par la… Migros), le journaliste pourrait quand même prendre quelques lignes pour relater les faits tels qu’ils se sont déroulés et ne pas simplifier par : "L’EPA a fermé".
Un détail rikiki me direz-vous. C’est vrai, mais un détail qui exempt la Coop de toutes incriminations dans la désertification économique de ce joli quartier.
 
Derrière la gare de Vevey, la Chaussée de la Guinguette n’est plus qu’un trou béant attendant de voire s’édifier le cadeau de Nestlé à Vevey, et à la Suisse, pour ses 150 ans de vampirisations des ressources naturelles mondiales et locales.
De toutes les thématiques que regroupe le fameux projets glorifiant l’existence de cette société, il y en a une qui me semble intéressante : Les archives de Nestlé. Peut-être pourra-t-on y découvrir ce qui est vraiment arrivé à ce pauvre syndicaliste Colombien ; les méthodes de négociations de Nestlé par delà les continents ; les détails de la croissance dite organique ; le comportement de la multinationale en Amérique du Sud dans les années 1970, et qui était vraiment Oswaldo Miguel Frederico Ballarin…
Le syndic de la ville voit dans ce projet, qui devrait définitivement enterrer l’identité veveysanne, la réalisation d’un quartier qu’il n’hésite pas à comparer au "Flon" de Lausanne. Si cela se trouve, Monsieur le syndic ambitionne peut-être de construire un métro entre la Place du Marché et le futur musée Nestlé ou encore un téléphérique reliant Vevey au "Lac des Joncs" via "Les Pléiades".
Mais peut-on lui reprocher de se réjouir de la réalisation d’un projet qui attirera 200'000 visiteurs/an, les véhicules privés, publics ou collectifs qui vont avec, et cloisonnera définitivement le veveysan dans un rôle de larbin-payeur d’impôts de Nestlé ?

L’emplacement qui accueillera "des attractions et des animations, un lieu d’exposition, un restaurant, un petit cinéma dédié à la projection de films historiques, un centre de conférence et une boutique, en plus des archives de la compagnie", n’a pas été choisi au hasard. Derrière la gare de Vevey se trouverait le laboratoire dans lequel, en 1866, Heinrich Nestlé a inventé la fameuse « Farine lactée Henri Nestlé ».
"Ce site a un caractère très émotionnel pour nous", a confié Mr Brabeck aux journalistes venus couvrir la présentation du projet. "C’est là que se trouve le cœur de l’entreprise, et son esprit aussi".
L’esprit… En 1866 la farine lactée a été imaginée et créée "pour faire face à une vague de décès d’enfants dans la région".
Un homme, certainement génial pharmacien, a décidé de mettre son savoir au service de la communauté pour améliorer l’alimentation des enfants à une époque où "la mortalité infantile était de 147 pour mille".
Une fois de plus, le géant de l’alimentaire ne peut s’empêcher de présenter son produit sans parler de mortalité infantile. Comme si le lait en poudre avait le pouvoir de sauver tous les enfants de la planète.
C’est volontairement omettre des facteurs essentiels comme : environnement, confort de vie, hygiène, médecine, qui sont tout aussi déterminant que l’alimentation pour la bonne santé, ou non, des populations.

Je me dis que dans le même état d’esprit du père fondateur, une société multinationale de l’envergure de Nestlé et, qui plus est, numéro uno mondial de l’alimentation, aurait pu régler, sans trop de problèmes, la malnutrition à l’échelle planétaire.
Voilà que j’idéalise une fois de plus, parce qu’il n’y a plus grand-chose à attendre d’une compagnie qui veut avant tout créer de la valeur pour ses propriétaires et qui a lancé une OPA mondiale sur l’eau potable.

NEMo.
(Propos recueillis dans le 24 Heures du 12 février 2013.)

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