dimanche 24 avril 2016

Il y a 30 ans, Tchernobyl.

Enfant d'Ukraine, Olga Kurylenko (ex-James Bond girl) raconte, à qui s’y intéresse, comment sa grand-mère lui avait interdit "pendant des années" de "manger la peau des fruits et des légumes", qu'elle n'avait "pas le droit de se promener sous la pluie, de sentir l'eau sur [ses] cheveux". On lui disait qu'elle allait les perdre.
"La nature reprend ses droits même si le silence est total. On n'entend rien, pas d'oiseaux, puis tout à coup un troupeau de biches détale. Il y a toutes ces traces d'animaux qui habitent les maisons abandonnées. Un jour, je me suis approchée d'un chiot que je voulais ramener à l'hôtel mais on me l'a interdit à cause de la radioactivité. Quand on approche de l'herbe avec l'appareil qui mesure la radioactivité un son strident et terrifiant retentit. Autour du site même, il n'y a rien. Il sert uniquement de base pour les ouvriers qui réparent le sarcophage."
Le 26 avril 1968, au moment de l’accident, elle avait 6 ans.

Après une explosion, non-nucléaire, survenue dans la salle du réacteur N°4 de la centrale de Tchernobyl, le cœur de celui-ci fusionne. L’incendie qui s’en suivit expédia pendant plus d’une semaine des particules radioactives dans l’atmosphère, qu’Eole se chargea de répandre sur l’Europe au gré de ses humeurs.
Rassurons-nous : Aucunes retombées "dangereuses" n'ont pu être mesurées au sol.
Mais c’est quoi une dangereuse retombée radioactive ? Comment ferions-nous pour savoir que nous sommes, ou avons été irradié, que notre organisme a été envahi par un élément radioactif qui détruit nos cellules les unes après les autres ?
Nous n’en savons rien ! Alors nous devons accorder notre confiance à celles et ceux qui disent ‘’savoir’’, qui informent celles et ceux qui nous dirigent, et qui nous abreuvent de chiffres exprimant des valeurs mesurées dont nous ignorons tout. Dans l’air on mesure en Sievert – milli ou micro, et dans nos aliments on compte en Becquerel.
Sans oublier que l’on nous communique rarement le résultat de mesures effectuées région par région. Ils prennent l’ensemble des mesures, divisent le tout par le nombre de cantons ou au kilomètre carré pour nous donner une valeur moyenne qui, forcément, sera rassurante.
Et puis, de toute façon, la Nature nous irradie naturellement d’une certaine quantité. Alors un peu plus ou un peu moins, cela ne fait pas grande différence.

Maintenant, avec toutes les cochonneries que nous mangeons, buvons, fumons ou respirons, comment être sur que notre futur cancer est dû à de quelconques retombées radioactives, ou à la présence de résidus de tritium?
Vous imaginez une info consommateurs sur les bouteilles d'"Henniez" du genre: " Boire de l'eau  entraîne la stérilité, peut causer des troubles intestinaux, des maux de têtes, etc…" une liste d'effets secondaires aussi longue que les recommandations, made in USA, de tout ce qu'il ne faut pas mettre dans un four micro-ondes… Impossible. Par contre nous sommes avertis que: "Fumer, tue".
Mais que sont nos petits bobos potentiels face à la dramatique réalité Ukrainienne.

Depuis trente ans, les alentours de la centrale maudite sont abandonnés. N’entrent dans le périmètre mortel que ceux qui ont pour mission de démanteler le réacteur. Une mission commencée quelques semaines après l’accident et qui durera encore 20 ans. Si l’on trouve où stocker les déchets, matières et matériaux radioactifs ; si l’on trouve le financement nécessaire. Bref, si tout va bien.
Un sarcophage d'acier et de béton fut construit à la hâte (en six mois). Un tombeau qui laissât malgré tout filtrer des radiations, et dont l'intégrité "physique" fut mise à mal, secondes après secondes, par l'intensité de l'énergie qu'il tentait de contenir et les éléments naturels qui le harcelaient.
Si bien qu'il fut décidé de construire un dôme géant qui isolerait les ruines de la centrale du reste du monde (en théorie). Une voûte de 260 mètres de large, 150 de long et 105 mètres en hauteur pesant 20'000 tonnes et calculée pour résister 100 ans aux éléments destructeurs.
Un siècle de protection certainement calculé par les meilleurs scientifiques du moment.
26 ans plus tard, le dôme censé protéger l'Humanité des émissions radioactives n'était toujours pas fini de poser. Mais le sera-t-il un jour..?
http://www.arte.tv/fr/3806900,CmC=3835606.html

Avec le temps, le dôme est devenu une arche : l’arche de confinement de Tchernobyl. C’est beau, c’est poétique, c’est biblique.
Budget : Le coût total initial du projet avait été estimé à 840 millions d’euros. En 2016, il est passé à 2,9 milliards d’euros… En tenant compte de tous les travaux nécessaires à "l'assainissement" du site ?
Mais si cet accident aura encore des répercussions dans le quotidien des résidents de Pripiat dans l’Oblast de Kiev pendant de nombreuses années, il nous faut aussi garder une certaine reconnaissance pour celles et ceux qui ont sacrifié leur vie pour tenter de contenir, de ralentir, la propagation des létales émissions radioactives.

Svetlana Alexievitch a écrit un livre qui donne la parole aux irradiés – ingénieurs, paysans, citadins, soldats, liquidateurs -, les victimes d'un événement qui "n'a jamais existé avant".
["La supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse", Jean-Claude Lattès, Paris, 1998]
Histoire de lire que, contrairement à ce que sous-entendaient certains observateurs occidentaux dans les médias, "ils" n'étaient pas forcément tous bourrés à la vodka devant les panneaux de contrôle de la centrale le jour de l'accident.
(En Pennsylvanie, les enquêteurs ont bien mis en cause l'obésité d'un opérateur dans l'accident de la centrale de Three Mile Island. (…) un opérateur particulièrement imposant qui a laissé son proéminent abdomen recouvrir les cadrans où s'affichaient des mesures importantes.")
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/SV_n742_juillet1979.pdf

"Personne ne comprend d'où je suis revenu… Et il m'est impossible de le raconter! Je n'ai pas peur de la mort en elle-même, mais je ne sais pas comment je vais mourir. J'ai vu agoniser un ami, il a gonflé. Il est devenu énorme, comme un tonneau…
Et un voisin. Il était là-bas, lui aussi. Opérateur d'une grue, il est devenu noir comme du charbon et a rétréci jusqu'à la taille d'un enfant. (…)
Je conserve une coupure de journal à propos de l'opérateur Leonid Toptounov. Il était de service à la centrale cette nuit-là. C'est lui qui a appuyé sur le bouton de sécurité, quelques minutes avant l'accident. Mais le système n'a pas fonctionné. On l'a soigné à Moscou. Les médecins disaient: "Pour le sauver, il lui faudrait un nouveau corps." Il ne lui restait qu'un petit morceau de peau non irradié dans le dos. (…) L'intérieur du cercueil était bardé de feuilles de métal… Il est couvert d'un mètre et demi de blocs de béton, doublé de plomb. (…)
Nous sommes seuls. Nous sommes des étrangers. On ne nous enterre pas comme tout le monde, mais séparément, comme des visiteurs de l'espace."

800'000. C'est le nombre approximatif de "liquidateurs" qui se sont sacrifiés pour leur Nation, pour l'Europe, pour le Monde. Ceux qui ont refusé d'aller mourir prématurément, préférant rester auprès de leur famille, ont vu la honte s'abattre sur eux, et sont devenus des "traîtres". Mais qui s'en soucie encore, 30 ans plus tard?

F.V.

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