vendredi 25 mars 2016

Période de fêtes des incidents nucléaires.

« L’énergie nucléaire respecte l’environnement et la ville d’Ookuma est bonne envers ses résidants. »
[Slogan affiché en face de la gare d’Ookuma / Province de Fukushima.]

Le 11 mars 2011, un violent séisme secoue l’archipel du Japon et bouleversera la vie de 315'000 personnes. Victimes directes de la catastrophe naturelle ou de ses conséquences.
Des maisons par milliers, parfois des villes entières, sont détruites. Sans distinctions…
En plus de transformer une partie des habitants de la Province en SDF, le séisme met à mal l’ensemble de la distribution du réseau électrique dans toute la région et particulièrement dans la zone autour des centrales nucléaires de Fukushima.

L’ironie veut, et ce pour des raisons de sécurité, qu’une centrale nucléaire n’utilise pas le courant qu’elle produit pour s’alimenter. Elle dépend donc principalement du réseau électrique externe.
Les centrales sont aussi conçues pour pouvoir fonctionner sans ce courant. Pour cela elles ont des systèmes de secours, des groupes électrogènes notamment.
Ce système de secours donnera un peu de répit à la centrale nucléaire de Fukushima-Daïchi.

Nous le savons tous. Le séisme sera suivit d’un tsunami.
La vague n’a pas besoin d’être spectaculairement haute. La masse d’eau déplacée, en mouvement, suffira à elle seule pour submerger les trois mètres du mur anti-tsunamis, érigé à quelques dizaines de mètres de la côte. L’océan finit ce que la Terre a commencé.
A la centrale nucléaire, l’eau de mer inonde les salles où sont installés les groupes électrogènes.
Ceux-ci cèdent. Les réacteurs sont livrés à eux-mêmes.

« Le cœur du réacteur doit être en permanence refroidi avec de l’eau. Si cette eau vient à manquer, la température de ce cœur augment, passe à plusieurs milliers de degrés – entre deux et trois milles degrés… »
Le soir du 11 mars 2011, un périmètre de sécurité de trois kilomètres est d’abord établi autour de la centrale nucléaire.
«…et quand on atteint ce type de température, les matériaux qui composent le cœur rentrent en fusion et ce mélange avec l’eau qui est présente dans le cœur et créent de l’hydrogène.
Et c’est ce qui amené, avec le contact de l’air humide de l’atmosphère, les déflagrations, les explosions des réacteurs 1 et 3.
Pour le réacteur numéro deux la nature de l’explosion est d’une nature un peu différente, elle s’est passée en partie basse du réacteur, et a endommagé  un certain nombre de systèmes. »
[Olivier Isnard, chercheur à l’Institut radiologique et de sûreté nucléaire (IRSN).]

Le lendemain, le périmètre de sécurité est étendu à 20 kilomètres, et devient désormais la ‘’Zone rouge.’’
Une zone dans laquelle l’accès sera intégralement mis sous contrôle de Tepco et de l’Etat.
Tomioka - à 9 kil de la centrale, est évacuée le 12 mars, 15 heures après le séisme ;
Puis, dans la foulée, Naraha et ses 8'000 habitants, à 17 kilomètres de la centrale, est évacuée. 28 heures après l’accident. Ou encore Namie et Ookuma, ville détruite par le séisme et vidée de ses habitants.
80'000 personnes seront évacuées pour être relogée dans des villages de fortunes installés à 50 kilomètres de la centrale nucléaire.
L’évacuation cela veut dire que l’on quitte sa maison en emportant le strict minimum, qu’on laisse tout ce qui a fait notre vie derrière soi, sans savoir quand est-ce que l’on y reviendra. Tout cela à cause de la radioactivité.

Alors que la zone rouge se vide de ses habitants, à la centrale la situation s’emballe.
Lors des explosions de l’iode 131, du césium 134 et 137 s’échappent des réacteurs. Des particules radioactives se propagent alors dans l’atmosphère et se dépose partout autour de la centrale.
Les rayons alpha, gamma et bêta qu’elles émettent exposent alors les personnes présentent sur les lieux à deux risques potentiels : Une irradiation externes dues aux particules radioactives présentes dans l’environnement, et une irradiation internes causées par celles qui pénètrent à l’intérieur du corps par inhalation ou ingestion. Dans les deux cas, les conséquences peuvent être irréversibles.

Bien sûr, après l’accident de la centrale, la radioactivité ne s’est pas arrêtée aux portes de la ‘’Zone rouge.’’
Les rejets radioactifs ont commencé à se propager en dehors du périmètre des vingt kilomètres. Au gré de la direction et de la force des vents.
Le gouvernement décide alors d’étendre les évacuations, en fonction des taux de contaminations, à un rayon de 40 kilomètres.

Deux mois après l’accident, Kawamata, Katsurao, Minamisoma, Tamura, Itate, toutes les zones ‘’urbaines’’ et d’habitations où la radioactivité dépasse les 20 millisievert par an – 20 fois la dose admise en temps normal, sont vidées de leurs habitants. Ou en partie.
Itate se trouve presque au centre de la nouvelle zone d’évacuation. ‘’Loin’’ de la zone rouge.
Mais déjà 10 jours après l’accident la consigne gouvernementale était de ne plus boire l’eau. Puis se fut la découverte que les sols étaient également contaminés.
Cependant, la petite ville de 7'000 âmes ne fut évacuée qu’à la mi-mai, alors que quelques jours après l’accident les habitants de cette petite ville recevaient, en une journée d’exposition aux radiations, ce qu’un employé du nucléaire français reçoit en une année.

La zone évacuée aurait une surface hybride de 1'000 kilomètres carrés – un tiers du canton de Vaud, et 110'000 personnes auraient vu leur statut de résidants se transformer en celui de réfugiés.
Hybride parce que les retombées radioactives ne sont pas uniformisées, et qu’un seuil d’évacuation a dû être décidé, unilatéralement, afin d’empêcher un exode massif de la Province. Un seuil fixé à 2.3 microsievert/heure.

J’ouvre une parenthèse pour souligner un autre aspect d’une évacuation faite dans l’urgence. On le voit bien dans les reportages récurrents réalisés aux portes de cette hideuse Europe. Tu pars sans rien, ou avec le strict minimum.
Evacuer, c’est tout laisser derrière soi. Souvenirs, maison et les animaux. Dans la province de Fukushima, chiens, chats, poissons rouges, lapins, tortues et que ne sais-je encore ont dû être abandonnés à leur sort ; des centaines d’animaux de rente sont morts de faim ou de soif, encore attachés dans leurs étables.
Quant à ceux qui étaient en liberté dans les enclos, le gouvernement les a abattus avant d'incinérer leur carcasse pour éviter que de la viande contaminée ne se retrouve sur le marché. Fin de la parenthèse.

Si, depuis le temps, la radioactivité ambiante dans les rues de certain village a baissé, elle atteint encore des mesures légèrement supérieures au seuil d’évacuation. Et la neige tombée 4 jours après l’accident a apporté, dans ses beaux flocons, l’invisible menace. Le manteau blanc a laissé en fondant des ‘’hot spot’’ où la radioactivité mesurée dépasse les 100 microsievert/heure…

L’actualité récente nous montre d’autres problèmes bien plus urgents que les tribulations d’un japonais au Japon. C’est vrai.
Cela vous semble bien lointain, c’est tout aussi vrai.
Mais juste à titre de comparaison, si un gros pépin devait se produire à la centrale nucléaire de Muhleberg, et en appliquant les mêmes protocoles d’évacuations, le lendemain de l’accident vous oubliez la course Morat-Fribourg ; le Palais fédéral et la capitale se vident ; Rock’oz arènes est remis à des jours meilleurs tout comme le problème linguistique de Bienne.
Deux mois plus tard c’est Neuchâtel, Estavayer-le-Lac, Soleure, Romont, la Chaux-de-Fonds qui sont vidées ou sous haute surveillance. Un rayon de 40 kilomètres, en Suisse, c’est Muhleberg – Bulle ! Et Broc… Mais comme Nestlé, grâce à Henniez, sait flirter avec les zones ‘’radioactives’’ Cailler nous fera le premier chocolat au lait fluoresçant.
Les Dzots devront patienter avant de regrimper sur le Moléson pour y voir leur maison, et avec un peu de chance et pas trop de bise, c’est le bassin Lémanique qui servira de centre pour réfugiés nucléaires.

Pour revenir au sujet, même si les rejets de Fukushima-Daïchi furent l’équivalent de 10 à 50% de ceux de Tchernobyl en 1986, l’accident japonais est classé au niveau 7 de l’échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques. Soit le niveau le plus élevé.
Une très fort niveau de contamination, mais dont le mode de propagation a été diffèrent d’un pays à l’autre.
A Tchernobyl, l’explosion du réacteur numéro 4 a été suivie d’un incendie. Un feu qui a, pendant dix jours, amené la radioactivité à des hauteurs parfois stratosphériques. Contaminant une zone de 160'000 km carrés dans le nord de l’Ukraine, affectant des millions de personnes, les Etats voisins et le continent européen. 160'000 kilomètres carrés, c’est quatre fois la Suisse.
A Fukushima, le mode de relâchement est différent : Une quantité, qui est peut-être la moitié du rejet de Tchernobyl, a été relâchées à des hauteurs beaucoup moins élevées - de l’ordre de 300 mètres, sur un terrain beaucoup plus restreint. Contaminant les zones proches de façon plus importantes.

5 ans après l’accident, rien n’est réparé. Même si le gouvernement a entrepris une vaste opération de nettoyage pour tenter de retirer la radioactivité des bâtiments, des sols ou encore des terrains à pâturages. Un grand nettoyage budgétisé à 10 milliards d’euros. En 2013.
On peut racler la terre ou la recouvrir de terre ‘’saine.’’
On peut aussi échanger le sable dans le bac à sable des enfants. On peut mettre du sable à zéro becquerel dans les bacs à sable. C’est certainement très efficace.
Mais donner l’idée à la population qu’on va décontaminer des zones entières, d’immeubles, de pâturages, de champs, c’est gravement induire en erreur la population.
La décontamination d’Itate, un bled parmi d’autres, prendra en trois et cinq ans. Les maisons et les champs seront ‘’assainis.’’ Mais la commune d’Itate est composée à 70% de forêts. Et rien ne sera fait dans l’environnement sauvage.

Le Japon a une superficie à peine plus grande que la moitié de l’Ukraine, pour trois fois plus d’habitants, alors que la Province de Fukushima est deux fois plus petite que l’Oblast de Kiev.
Dès lors, le gouvernement japonais, peut difficilement réhabiliter une partie de son territoire en zone morte.
Alors on fait croire aux enfants qu’ils peuvent s’asseoir dans de l’herbe encore radioactive ; on joue avec les mesures et on contrôle le plus possible l’information parce qu'il y aura des zones condamnées à très, très long terme, aux côtés desquelles les populations locales vont devoir vivre.

Si aujourd'hui la population de Tchernobyl se compte en quelques centaines d'âmes en peine, le réacteur demeure toujours dangereux. L'UE, avec l'aide de la Russie vont devoir débourser des dizaines de milliards (la monnaie importe peu) pour remplacer le sarcophage, construit par dessus le réacteur. Installé en 1996 pour protéger l'environnement et les populations, le sarcophage est en fin de vie. 20 ans après sa construction.
Au Japon, la Tepco serait l’heureuse propriétaire de plus de 700'000 tonnes d’eau contaminée, polluée, mortelle.
Une eau qui a été inlassablement injectée vers le combustible radioactif pour le refroidir, puis entreposée dans des piscines plus très étanches et qui lèguent au Pacifique de quoi le rendre un peu plus stérile.
Un cœur qui aurait fondu pour continuer à vivre selon ses propres lois et qui poursuivrait, officieusement, ses émissions de particules radioactives.
www.fukushima-blog.com/2016/01/fission-a-fukushima.html

L’arrivée du printemps est-elle propice aux incidents nucléaires ?
Nous venons de passer les 5 ans de la catastrophe nippone (11 mars 2011), dans un mois nous fêterons les trente ans de Tchernobyl (25-26 avril 1986) et dans 3 jours l’incident niveau 5 (sur 7) de Three Mile Island aura 37 ans (28 mars 1979).
Et presque aussi vieux que moi : Il y a 47 ans – le 21 janvier 1969, la centrale nucléaire expérimentale de Lucens, dans notre beau canton de Vaud, était arrêtée de toute urgence, suite à un accident de niveau 4.
Bref. Depuis que j’ai l’âge de comprendre les choses, j’ai vu plus d’accidents nucléaires que de Fête des Vignerons.

F.V.

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