dimanche 9 août 2015

Les champs de la misère

L’élevage se pratiquait en fonction de la nourriture disponible sur place. Les pâturages faisaient l’objet d’une attention particulière pour protéger la régénération de la prairie du piétinement des ruminants et empêcher la concentration des déjections, qui affecte la qualité des sols et de l’eau. Un élevage fermier était conduit en symbiose avec la culture céréalière et maraîchère : les résidus de récoltes enrichis de pois, de lupins et de féveroles constituaient un fourrage sain et équilibré ; la paille fournissait la litière des animaux ; le fumier obtenu fertilisait les sols. La boucle était bouclée.
[Agnès Stienne, Le coût de la viande bon marché, avril 2013.]

Aujourd’hui l’animal est devenu une matière première. Les croisements et sélections génétiques produisent des bestiaux monstrueux. L’industrie de la viande s’accapare 78% des terres agricoles de la planète pour nous offrir les meilleurs morceaux de la vache en forme de steak de ‘’bœuf’’, tandis que le reste des abats, les parties moins ‘’nobles’’, sont reconverties en minerai de bœuf pour garnir de ‘’viande’’ les plats préparés que l’on réchauffent au micro-ondes, ou les lasagnes, les pizzas et j’en passe.
Fruits et légumes sillonnent les routes du vieux continent pour finir sur nos étals (quand ils ne viennent pas de plus loin) tandis que les OGM envahissent tranquillement les champs.
Les tomates de Lidl, par exemple, son produites en Espagne et ramassées par des employés agricoles marocains qui gagnent 33 euros par jour travaillé (huit à dix heures de travail journalier).

Tout ça parce que nous ne voulons plus connaître des périodes de famines dans notre civilisation soit disant développée ; parce que nous voulons pouvoir manger de tout à n’importe quel moment de l’année sans avoir à tenir compte des rythmes saisonniers de la Nature.
Ce qui ferait, qu’à l’heure actuelle, il y aurait deux fois plus d’obèses que de malnutris dans le monde.

Le recours aux congélateurs des grands distributeurs de l’agroalimentaire a fait baisser la part de budget qu’un ménage français consacre à l’alimentation de 40,8% en 1958 à 20,4% en 2013 (en Suisse on dépense une petite quinzaine de pourcent de notre revenu mensuel pour l’alimentation). Et ¾ des Français achètent leurs aliments via la grande distribution.
Une grande distribution qui ne favorise pas les producteurs locaux ou régionaux. Loin de là.
L'homme qui se lève tout les matins pour cultiver et entretenir les matières premières qui serviront à notre alimentation quotidienne n'est qu'un fantôme dans notre esprit, une personne que nous ne verrons peut-être jamais de son vivant, un nom sur une étiquette. Et encore...

Je parlais des paysans Suisses qui, noyés sous des tonnes de tracasseries administratives pour mériter un label quelconque, n'ont pas le temps de se montrer devant les caméras des télévisions.
D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, les agriculteurs français ont pris la route pour manifester leur mécontentement. Ils demandaient que leur labeur soit mieux reconnu et surtout mieux rémunéré alors que tous les intermédiaires, entre la ferme jusqu’à la grande distribution, s’en foutent plein les fouilles.
En gros ils veulent pouvoir vendre leurs produits plus chers. Ce à quoi répondit le gouvernement, l’esprit peut-être encore du côté d’Athènes : Ok, on va vous aider à payer vos dettes. ( ?!? )
Ayant fini par comprendre la revendication, Hollande a demandé que tous les intermédiaires revoient leur copie pour une meilleure redistribution des ‘’bénéfices’’.
[Et petite dédicace à cette agriculteur breton qui, pour passer sur la RTS, a mis sa casquette blanche « Le Gruyère Switzerland.»]
En Suisse, les agriculteurs n’ont pas vraiment cette chance. Déjà, ils n’ont pas le droit de manifester, tandis que le politique se demande bien se qu’ils font encore dans le paysage économique national :
« Heureux pays où les gens n’ont pas faim et où l’agriculture est presque de trop ! »
disait André Bugnon, Conseiller national UDC, il y a plus de deux ans.

Dernièrement, se fut au tour des producteurs laitiers d’être à nouveau dans le collimateur des centrales de distributions. Encore et encore. Parce que la lutte de l’exploitant agricole contre l’intermédiaire qui ‘’achète’’ le fruit de son travail ne date pas d’hier.
Elle a commencé en 1913, quand la guerre du lait a éclaté entre la société fabrique de lait condensé Nestlé- Anglo-Swiss et l’Union centrale des producteurs de lait suisses. Nestlé, qui au début mai 1913 payait les 100 kilos de lait (environ 97 litres) 20 fr 60, baissa son offre à 16 francs. Ce qui mettait le litre de lait à un peu plus de 16 centimes le litre.

Il y a sur le site fédéral, admin.ch, un calculateur de l’Office Fédéral de la Statistique qui nous calcule le renchérissement de la life. Grâce à ce petit outil on peut savoir que les 16 francs de 1914 ‘’valent’’ aujourd’hui 147 francs. Soit une variation positive de 819.6 % en un siècle. Ce qui mettrait le litre de lait acheté au producteur aux alentours 1 francs 50.
Là vous me direz que la ‘’Règle de trois’’ n’est valable que sur les bancs d’écoles. Parce qu’après, pour des calculs plus ‘’économiques’’, il faut y inclure l’âge du PDG de la Société qui rachète le lait, multiplié par son chiffre ‘’porte-bonheur’’, le tout pondéré par le nombre d’actionnaires auxquels on additionne le pourcentage qu’ils veulent se mettre dans les poches tout en restant assis. Et vous soustrayez ‘’Un’’ pour le fun.

A l’heure actuelle, on parlerait de le ramener à 48 centimes le litre de lait, alors que le prix payé aux producteurs tourne autour des 57 centimes le litre. Soit 3,5 fois plus qu’en 1913 !
Et ce pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le labeur du producteur.
Pour faire baisser le prix du lait, on nous a parlé du prix du fromage ou de la frénésie des Chinois pour nos yaourts ; on a mis en avant les difficultés de la filiale du beurre à exporter ses produits ou à vendre ses produits en interne, alors que la Suisse importe des tonnes de beurre.
L’explication d’une baisse entraînée par les fluctuations des ventes des produits laitiers pouvait, à la limite, s’expliquer par le fait que sur le presque 4,2 milliards de litres de lait trait annuellement au pis des vaches, 500 millions sont bus. Le reste part dans les filières du beurre, des yaourts, des fromages ou dans le ruisseau voisin.
[Une vache donne 25 litre par jour, 300 x par an. En Suisse, en 2012, le cheptel était estimé à 555'000 têtes.]

Aujourd’hui, pour justifier la baisse du prix d’achat au producteur, Cremo nous parle du prix mondial du lait qui tire le prix national vers le bas. En France, par exemple, l’exploitant agricole n’aura pas plus de 34 centimes d’Euro par litre de lait. La Suisse ne fait pas partie de l’Europe économique, mais c’est comme si nous étions en plein TAFTA-TTIP.
Bref, la vache a beau jouer au foot ou gravir le Cervin, elle n’aura pas la même "reconnaissance" que la petite marmotte qui emballait le chocolat, et sa carcasse, une fois morte, se vendra aux alentours de 5,40 frs/ kg.
Je vous laisse faire le tour des rayons ‘’Boucherie’’ pour voir à combien on nous re-vend le steak de bœuf.

Autre produit de la terre. Autre liquide...
Au premier juillet de cette année est entrée en vigueur la nouvelle loi sur les auberges et débits de boissons.
Une loi modifiée et de nouvelles mesures pour tenter de faire baisser la consommation d’alcool (bitures express) chez les ados. Interdiction de vente à l’emporter d’alcool après 21 Heures (contre 22H auparavant).
Les buveurs de bières en font aussi les frais avec de nouvelles restrictions qui cette fois concernent également leur boisson préférée, tandis que les vignerons, qui pleuraient dans le gilet des parlementaires vaudois sur les invendus AOC qui traînaient dans leur cave, ont obtenu un ‘’passe droit’’.
Disons plutôt que les fins palais qui ont jeté leur dévolu sur le produit de la vigne n’ont pas de restrictions pour accéder au mythologique breuvage.
Y paraît, selon un conseiller national socialiste dont je n’ai pas retenu le nom, qu’après cinq bières une personne de 70 kg met sa vie en danger. Moi, j’en connais un de 105 kg qui, après cinq ballons de République, n’a pas trouvé le trottoir très large quand il est rentré chez lui à pied.

Une autre mesure, qui a failli me faire mourir de rire, est celle qui dorénavant interdit les « Happy hours ».
Les "Heures joyeuses" sont celles qui font, qu’après avoir passé huit heures de la journée avec tes collègues au bureau, tu les retrouves au bar du coin pour siroter des boissons (légèrement) alcoolisées, en profitant de la promo ‘’Happy hours’’ qui permettait au barman de te vendre deux verres pour le prix d’un. Un peu comme l’opticien du coin qui ne te facture qu’un verre…
Donc deux verres au prix d’un, c’est terminé !

Et c’est là qu’il faut saluer l’exploit de celles et ceux qui révisent, écrivent et signent nos textes de lois, des politiciens qui ont bu leur verre de lait avant de débattre pour faire aussi fort, car il est désormais « possible de vendre un verre à moitié prix. »
Je vous rassure, ce n’est AB-SO-LU-MENT pas la même chose. Même si au final vous consommez deux verres et n’en payez qu’un seul.

M’est avis que cette promo touchera essentiellement le produit viticole, histoire de se montrer solidaire avec les vignerons du coin qui ont été forcé de déclasser leurs vins blancs AOC pour les vendre au prix du vin de table. Mais ne pleurons pas trop. Le Parlement leur a accordé 10 millions de francs en dédommagement…

On asphyxie les agriculteurs pour donner de l’air aux vignerons. S’en est à se demander quelles sont les priorités de nos élus ?!
Parce qu’un ‘’Kir royal’’ passera toujours mieux qu’un ‘’Lait grenadine’’ en apéro, je me demande si les agriculteurs n’auraient pas tout intérêt à se pencher sur une formule qui permettrait de faire de l’alcool de lait..?

Nemo.

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