mercredi 19 août 2015

Res omnis.

L’Overshoot Day, le jour où nous avons consommé les ressources que la Terre peut produire en une année, arrive de plus en plus tôt.
Pour y parvenir, en plus de nos appétits dévastateurs, nous jetons chaque année plus de 1,5 milliards de tonnes de nourriture, soit un tiers de la production alimentaire globale qui est destinée à notre alimentation.
Un quart des aliments produits sont jetés sans même avoir été consommés, alors que14% de la population mondiale est sous alimentée – 526 millions de personnes en Asie.
Le coût financier direct de ce gâchis planétaire est évalué à 750 milliards de dollars.

[750'000'000'000 dollars. En francs Suisse ça fait en gros : 675 milliards de francs. C’est impossible à ‘’visualiser’’. Si je touchais un salaire mensuel de 5'000 francs, je devrais bosser pendant 11.25 millions d’années avant de pouvoir atteindre un tel montant. Sans avoir tenu compte du treizième salaire.]

Dans la belle UE : Près de 90 millions de tonnes de déchets alimentaires sont produits annuellement – soit 180 kilos de denrées gaspillées par personne. Selon les estimations, ce volume pourrait s’élever à 120 millions de tonnes en 2020.
En France. « Plus de 7 millions de tonnes de nourriture jetée par année. Un tiers encore emballé. »
Ce gaspillage est principalement le fait des ménages (environ 70%).
"La grande distribution est responsable de la perte annuelle de plus de 2 millions de tonnes d’aliments."
On peut aisément taper sur la tête des consommateurs en oubliant que les Super-hypermarchés attirent leur clientèle avec des prix trop bas pour être honnêtes ou en proposant des offres ‘’multipack’’, genre 3 pour 2, de denrées alimentaires. Tout ça pour nous encourager à la cuisine à outrance, à préparer plus qu’il n’en faut et mettre les in-consommés à la poubelle.

La planète a produit 308,5 millions de tonnes de viande en 2013 (67.7 tonnes de bœuf, 107 tonnes de volailles, 114 tonnes de porc…) Une production qui nécessite un détournement de 40% de la production agricole pour l’élevage.
D’un point de vue mondial, selon la base de données de la FAO, l’affectation des terres agricoles mondiales en 2012 ressemblait un peu à cela :
Sur les 4,81 milliards d’hectares disponibles sur la surface de notre globe, 3,4 servent aux pâturage, dont 0,85 sont des sols dégradés.
Les 1.41 milliards d’hectares restants, définis en terres arables, sont à partager entre les sols à fourrage (0.5) et ce qui reste de disponible pour l’alimentation humaine (0.91). Une part que l’humain concède à l’horticulture, aux agrocarburants, etc.

Mais il n’y a pas que la terre que nous dégradons et de la viande que nous surconsommons.
80% du produit de la pêche finit dans l’assiette des pays dit riches. L’accaparement de cette ressource, dont nous n’avons pas un besoin vital, participe à l’épuisement des ressources marines. Et désolé de dire ça, mais la destruction du milieu aquatique n’est plus un fantasme d’écolo.
La brutale disparition de la morue des Grands Bancs de Terre-Neuve, à la fin du XXe siècle, et que personne n’avait prévue, a été un avertissement planétaire. Victime d’une surpêche devenue industrielle, ce grand poisson d’eau froide n’est jamais revenu dans les eaux de Terre-Neuve, malgré le moratoire décidé par le gouvernement Canadien en 1992.
Entre 1992 et 2012, la biomasse du chinchard a chuté de 30 millions de tonnes à trois millions dans le Pacifique sud. Sur la même période, la population de mérous a diminué de plus de 80% en Afrique de l’Ouest.

Le continent Africain, déjà aux mains de ses colonisateurs qui se chamaillent les terres agricoles disponibles – chaque année des millions d’hectares de surfaces agricoles sont achetés par des multinationales ou des hommes d’affaires étrangers, voit ses ressources halieutiques disparaître dans le sillage des chalutiers européens, russes, sud-coréens, japonais, et maintenant chinois.
Des acteurs économiques qui viennent concurrencer déloyalement la pêche artisanale, mettant ainsi « directement en danger l’autosuffisance alimentaire des pays tiers ».
Il est possible de mettre l’accent sur la présence chinoise dans les eaux tropicales au large de l’Afrique, mais c’est bien l’Union européenne qui, en 2012, « disposait en effet du plus grand territoire maritime de la planète, d’environ cent quarante mille pêcheurs en équivalent temps plein, d’une flotte de plus de huitante cinq mille navires et d’un million d’emplois à terre dans les filières halieutiques. »
Résultat ? 88% des réserves marines communautaires sont surexploitées. Contre 25% au niveau mondial. Les eaux bleues qui ceignent la belle Union européenne, et accueillent tant de touristes irrespectueux de leur environnement, ne seront plus qu’aptes à accueillir des organismes anaérobies. Comme c’est le cas en Mer du Nord.
Surpêche, destruction des biotopes, pollutions ont détruit nos propres réserves. Qu’à cela ne tiennent ! Nous irons piller celles des autres.

« Le poisson constitue un apport hautement nutritif, riche en acides gras essentiels, et contribue de ce fait à près de 50% de la ration protéique animale dans de nombreux pays du Sud : Bangladesh, Gambie, Sénégal, Somalie, Sierra Léone… » Le poisson a même constitué une ressource alimentaire de secours pendant les épisodes de sècheresse (Somalie 1974 et 1975).
Une denrée de "secours" que nous ne cessons de leur retirer pour satisfaire des besoins induits par les économistes industriels.
En Europe, en 2012, près de 80% des subventions ont profité au modèle de pêche le plus destructeur de ressources, le plus consommateur d’énergie et le moins productif.
La surpêche en plus de contribuer à la famine dans certaine partie du monde, contribue à la destruction de l’environnement aquatique.
Celui qui n’est jamais monté sur un chalutier n’imagine pas la masse de poissons, de crustacés et de petits requins sans vie mis de côté sur le pont pour être ensuite rejetés par-dessus bord.
Pour trois poissons pêchés, deux sont rejetés sans vie à la mer. En 2012, le chalut, l’engin le plus utilisé dans le monde sous l’impulsion du marché et des subventions, était responsable à lui seul de 72% de ces rejets.
Ces rejets répétitifs s’ajoutent aux milliards d’objets plastiques qui détruisent la vie aquatique, qui s’ajoute aux millions de corps en décomposition, qui s’ajoute vestiges sous-marins des conflits mondiaux, qui s’ajoute aux saloperies de l’industrie pharmaceutique déversées dans les fleuves, qui s’ajoute aux engrais et autres pesticides rejetés dans ces mêmes fleuves, qui s’ajoute aux rejets sauvages de la pétrochimie ou les catastrophes maritimes, qui s’ajoute aux déchets radioactifs qui ne finiront jamais de mourir dans le fond de nos océans.
Depuis des siècles, l’humain prend ses cours d’eau, ses mers et océans pour la poubelle du monde.

Un Res omnis est, ce que les Romains appelaient, un bien qui appartient à tous.
Le contenu des mers et océans appartient à tous. Ce qui sort de la Terre appartient à tous. La Terre appartient à l’Humanité dans sa définition de famille humaine et non pas à une portion d’humanité qui veut privatiser ce qu’elle ne peut créer et ainsi contrôler l’accès aux ressources que la Vie elle-même a généreusement mise à notre disposition.
Nous sommes devenus, nous humains, au fil des siècles une force géologique qui ne tient plus compte des Lois de la Nature. Affranchis des contraintes qui nous liaient à notre Terre, nous nous sommes dé-solidarisés des autres représentants de cette ‘’famille humaine’’ pour imposer avec arrogance et mépris, envers les plus fragiles et les moins chanceux, la définition de l’Humanité dans ce qu’elle a de supérieur dans l’aboutissement de son développement, voire d’absolu.
Ainsi nous nous sommes également déresponsabilisés du sort de milliards d’individus, membres à part entière de la famille Humaine.
Nous avons tant bafoué leur droit à l’égalité, qu’aujourd’hui l’Equité s’impose comme un devoir.

Pour le salut de nos descendants, pour notre biosphère et pour la pérennisation de la famille Humaine, nous avons besoin que la vieille génération actuelle re-prenne conscience de sa vulnérabilité afin de permettre à la première génération qui nous remplacera de ne pas voir son destin lui échapper.

Qui peut prétendre vivre en paix et aspirer à la liberté en s’accommodant de la combinaison des catastrophes humaines et des catastrophes environnementales ; ou tant que certaines personnes ne seront pas considérées avec la même valeur que d’autres hommes ou femmes sur terre ?
Humilité, modération et solidarité. Trois mots clés pour permettre à la famille Humaine de s’élever avec dignité pour suivre, en toute conscience, le chemin de la Création.

Nemo.

A lire : Manière de voir N° 142, Ce que manger veut dire. Qui a servit de fil rouge à ces quelques lignes.

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