mercredi 7 janvier 2015

Les taxis, les vrais...

Histoire de poser le décor, de petites précisions s’imposent.
Actuellement, les taxis Suisses se distinguent en deux catégories. Des catégories que, pour l’instant, l’utilisateur de base de taxi ne peut différencier.
1° : les « A », qui ont l’autorisation de stationner sur le domaine public ; c-à-d que les villes et communes définissent des emplacements de stationnement pour ces taxis – en général près des lieux de fortes affluences.
2° : les « B » qui eux doivent stationner dans des emplacements privés (domicile, garage, centrale de taxis).
On trouve encore quelques autorisations de type « C » qui concernent les services de limousines, des véhicules qui, normalement, sont ‘’réservés’’ à la clientèle huppée des hôtels ou palaces pour les transferts vers les aéroports, ou mis à disposition de ceux-ci pendant leurs luxueux achats touristiques.

Les « A » attendent leurs clientèles devant les aéroports, les gares, les hôpitaux, les boîtes de nuits, etc. ; les « B » ne sortent que sur appel. Normalement.
Ce qui fait que dans des petites villes comme Montreux, Vevey, Villeneuve, Aigle et j’en passe, la principale source de clientèle est fournie par les voyageurs des CFF.
Certaines de ces communes n’hésitant pas à rappeler, à leurs différents concessionnaires, qu’ils doivent ‘’assurer’’ le service devant la gare tant qu’il y a des trains.
Accessoirement, les emplacements publics pour le stationnement de ces taxis permettent aussi au promeneur fatigué, surpris par le pluie ou cherchant la ‘’climatisation’’, de se faire ramener à son domicile sans avoir à sortir son téléphone.
En théorie, le concessionnaire « A » n’a pas à faire de publicité pour subsister. Sauf qu’il est le premier à subir les mesures d’économies budgétaires des ménages ou des sociétés recensées sur le territoire communal.
Le concessionnaire « B », quant à lui, est libre de gérer son business comme il l’entend, puisqu’il n’a pas de ‘’deal’’ avec l’autorité qui lui a délivré son autorisation d’exploiter. Une autorisation qui est, bien entendu, payante.

Le concessionnaire « B » paye son renouvellement annuel 40 francs sur Vevey et environs, alors que le concessionnaire « A » voit sa taxe annuelle varier en fonction de la ‘’renommée’’ de la ville dans laquelle il pratique.
Une concession « A » vaut 140 francs sur Vevey*, 400 à Montreux* et peut dépasser les 2'000 francs du coté de Zurich ou Genève.
Et je ne parle pas du prix des licences qui se vendent en France. Suivant la ‘’ville, c’est carrément le prix d’un appartement en Espagne.
[* les choses risquent de prochainement changer suite à l’adoption d’un nouveau règlement de taxi commun.]

Jusqu’au début de ce siècle, tout allait bien. La libéralisation à outrance n’avait pas encore touché la profession. Du moins pas sur le bassin (haut) lémanique.
Les concessionnaires « A » remplissaient leur part du ‘’marché’’ communal, et les « B », regroupées dans des sociétés de taxis dignes de ce nom, faisaient leur taf loyalement sans créer trop d’interférences. Depuis, les choses ont changé…
Les crises, qui n’ont pas touché la Suisse, ont modifié le comportement de pas mal de gens et un grand nombre de personnes, qui attendaient les taxis devant la gare, ont préféré se faire véhiculer par leur conjoint ou sans remettre aux transports en commun routiers (les bus…).
Le schéma a été identique quand la grande société financière de Vevey a décidé de ne plus rembourser les frais de taxis à tous ses employés. Le cadre sup’ est défrayé, l’autre utilise les abos de bus mis gratuitement à sa disposition.
D’un autre côté, l’émancipation féminine made Arabie Saoudite a permis aux femmes musulmanes de se retrouver derrière un volant de voiture. Ce qui fait le bonheur des loueurs de voitures de luxes et rire jaune les compagnies de taxis, spécialisées en limo’, de Genève, Lausanne ou Montreux (pour ne citer qu’eux).
Quand on doit faire des économies, on commence par supprimer les frais excessifs et inutiles.
C’est que le taxi en Suisse est cher, comme tous ce que l’on peut monnayer en Helvétie. J’y reviendrai plus loin.

Avec la crise, qui n’existe pas en Suisse, l’ultralibéralisation a fini par arriver.
Le nombre des concessionnaires « A » est limité par le nombre de places de stationnement louées par les communes, aux indépendants essentiellement ; tandis que le nombre de concessions « B » ne connaît aucune restriction quantitative. Si une entreprise de taxi décide d’immatriculer 250 véhicules dans une même ville, rien ne s’y oppose.
Si l’on fait remarquer au joyeux distributeur automatique de concessions « B » que ces derniers sont trop nombreux, les édiles se justifient en parlant de ‘’libre concurrence’’ qui fera baisser les prix ; et que l’on ne peut pas « empêcher les gens de travailler ».
En cinq mots : Démerdez-vous, pas notre problème.

Les chauffeurs de taxis, indépendants ou travaillant pour une société existante, se retrouvent avec un volume de travail à la baisse et un nombre de concurrents à la hausse.
Et comme le permis de taxi n’est pas si compliqué que cela, le nombre d’individus, encouragés par les offices de placements régionaux, qui se lancent dans l’indépendance routière est en constante croissance. Une concession « B » de plus = un chômeur de moins.
Et comme chaque indépendant qui se lance n’apporte pas avec lui sa clientèle propre, au mieux quelques potes qui paient en demi-tarif, il va forcément puiser dans celle des autres. Essentiellement du côté des emplacements publics, réservés aux « A », avant d’aller piocher dans les plus grandes villes voisines.

Les problèmes de trafic liés à la densification des centres villes rendent les trajets en taxis plus longs, donc plus cher. Malgré la possibilité pour les chauffeurs de taxi d’emprunter les voies de bus.
Il suffit donc aux « B » d’attendre gentiment que tous les concessionnaires « A » aient quitté leur emplacement, pour ensuite passer et ramasser celles et ceux qui attendent.
Le reste est une question de relation publique, de bonne pub et de prix plus bas pour réussir à convaincre le client d’appeler directement, une dizaine de minutes avant que le train n’arrive à destination, la voiture dans laquelle il se déplace.
Que l'on se comprenne bien quand je parle de "bonne pub": Le chauffeur "fautif" se charge de bien encourager le client à dire qu'il n'y a jamais de taxis. Ce qui lui permet de rajouter que les rares qui sont là sont feignants pas dignes de confiance et trop chers.

Le tarif des taxis « A » est défini par la Commune. Les concessionnaires « A » peuvent proposer toutes les augmentations tarifaires qu’ils souhaitent, c’est la police du commerce qui avalise dans un premier temps et le Conseil d’état qui entérine. Celui qui surfait le tarif officiel peut être sanctionné. Celui qui travaille en dessous ne risque rien.
Pour l’entreprise qui emploie des concessions « B », le processus est quasiment identique, mais n’ayant aucun lien direct avec la commune, la marge de manœuvre du patron est plus grande.
Les tarifs en vigueurs permettent tout juste aux patrons de s’en sortir et aux employés d’avoir des salaires qu’aucunes conventions collectives n’accepteraient. Excepté chez Denner, peut-être, ou dans une usine Mattel perdue quelque part dans le Sud-Est asiatique.

Ce qui n’empêche pas que le taxi en Suisse, c’est cher. C’est vrai. Les raisons de cette cherté sont à chercher dans les ‘’charges’’ qu’aucun patron d’entreprise de taxis ne peut externaliser. Donc encore moins les indépendants.
L’essence se paie au prix du marché et les concessionnaires automobiles ne sont pas très solidaires; l’expertise du véhicule est annuelle et les certificats tachygraphe/ taximètre sont à renouveler tous les deux ans.
Quant aux assurances autos, elles profitent, pour la grande majorité, du fait que le chauffeur gagne de l’argent avec son véhicule et justifient leurs tarifs plutoniques en disant qu’un véhicule qui est utilisé comme taxi, est plus sujet aux risques d’accidents qu’un autre. Raisonnement qui ne s’applique pas aux véhicules de livraisons ou de représentations.
Ce qui fait qu’une prime de base pour une assurance voiture en transport prof. de personnes avec responsabilité civile, casco partielle et un petit quelque chose pour les occupants et leurs affaires, se situe au-delà de 5'000 francs annuels. Ne reste qu’au chauffeur à faire hyper gaffe pour baisser son bonus à 30%.
Maintenant, en assurant cinq véhicules à la même assurance, vous pouvez bénéficier d’un rabais ‘’flotte’’. Autant dire que le nombre d’indépendants qui assurent deux véhicules pros, plus celui de son épouse et de ces deux enfants à la MMA Romande se comptent sur les doigts de la main d’un manchot lépreux.
Il devient donc de plus en plus fréquent, aujourd’hui, que les nouveaux indépendants se lancent avec une assurance auto toute simple. Soit une responsabilité civile.
A l’heure actuelle, le mot d’ordre pour chaque patron de taxi, d’une entreprise individuelle ou non, est de rogner sur les frais d’assurances et d’entretiens.
Tout ça parce que le business a chuté à cause d’une crise qui n’a pas existé.

Un ancien taximan de Vevey disait qu’il était nécessaire de mettre 50% de la caisse de côté pour les frais liés au véhicule et pour prévoir les ‘’imprévus’’. A son époque, chaque exploitant ou voiture ‘’tournait’’ facilement à 50, voire 70 francs de l’heure brut de caisse.
Aujourd’hui, si une voiture fait 350 francs de caisse pour 11 heures de taf, le patron peut s’estimer chanceux.
Maintenant vous prélevez 45% brut pour payer le chauffeur et je vous laisse calculer, au plus large, combien peut se faire un chauffeur employé qui bosse 53 h/semaine devant la gare de Vevey.
Montreux pratique le salaire fixe (environs 3'600 francs et 18 francs de l’heure pour les auxiliaires) pour le même nombre d’heures travaillées.
Alors si vous prenez la baisse des revenus et que vous la confrontez aux augmentations incessantes du ’’coût’’ de la vie, vous obtenez des situations personnelles tendues.
C’est dans ce terreau de paupérisation libérale, qui s’applique également aux concessionnaires « B », que les conflits de territoires plantent leurs racines.

Jusqu’à présent nous pouvions lire dans les quotidiens du coin que les entreprises de taxis avaient des ‘’soucis’’ avec les taxis ‘’pirates’’, ou ‘’sauvages’’, qui viennent régulièrement piquer leur clientèles, soit en maraudant, soit en se faisant passer pour le taxi ‘’commandé’’.
Par ‘’pirates’’, comprenez tous les taxis qui ne sont pas de la ville ou des concessionnaires « B ».
Les « B » de tous le cantons maraudent, c’est vrai. Mais une grande partie des « A » fait de même, loin de leur lieu de stationnement, quand ils déposent un client dans une ville voisine.
Et tout le monde insulte tout le monde. La bonne ambiance, quoi.
Ajoutez là-dessus les professionnels en congé qui utilisent leur voiture privée pour conduire les clients de leur patron à des prix défiants toutes concurrences et les particuliers qui, s’emmerdant comme des rats morts sur une place de la gare, proposent des trajets à moitié prix aux ‘’jeunes’’ clients qui veulent garder du fric pour leurs futures boissons alcoolisées.

Ces dix dernières années, les places de stationnements publics de taxis sont devenues, en exagérant la moindre, des zones de non-droits sur lesquels régnait le plus couillus, le plus menaçant ou celui qui parle le plus fort. Pas besoin de préciser que le brave helvète, respectueux des hiérarchies, s’est vite fait bouffer par la volée de nouveaux chauffeurs pas du coin et étant d’accord de bosser pour des cacahuètes.
Auparavant, quand tout le monde se respectaient un peu plus, les ‘’erreurs’’ de clients étaient rares, et se réglaient poliment. Au pire, le chauffeur ‘’distrait’’ se faisait remonter les bretelles pour la forme, et on en parlait plus.
Aujourd’hui, grâce à la technologie qui permet d’avoir le numéro de celui, ou celle, qui a commandé le taxi, le chauffeur planté se permet de rappeler le client pour, huit fois sur dix, l’insulter. Chose impensable à l’époque d’un Russi, Mabillard ou Bassot père. Pour ne parler que des pharaons de la région.

Si l’on se met deux secondes à la place d’un client on se rend vite compte que cette situation n’est pas vraiment confortable. J’attends un taxi, je monte dans le premier qui vient sur l’emplacement réservé et je me retrouve embringué dans une querelle de mauvais voisinage.
Je commande un taxi, je monte dans celui qui se présente (après qu’il m’ait assuré être de la bonne compagnie) et je me fais insulter au téléphone par le bon chauffeur.
Pas étonnant dès lors que des sociétés comme Uber trouve des adeptes un peu partout en Suisse: On me propose de m’envoyer, sur mon iTruc la photo du chauffeur qui me conduira ; on me propose plus ou moins de pouvoir choisir le genre de véhicule qui me transportera et en plus c’est moins cher que le taxi normal.
De plus, trouver un taxi qui accepte la carte de crédit pour un court trajet est devenu impossible. Tous prennent la carte, mais pour un minimum de 50 francs. Et je ne parle pas de toutes les techniques pratiquées par les chauffeurs pour éviter de me prendre en charge si je ne vais pas assez loin pour lui. C’est énervant à la longue.

Le début d’explication qui semble s’appliquer à ce comportement désagréable, qui fait que 7 chauffeurs sur 10 demandent la destination avant de laisser le client s’installer, se résume par ce constat peu encourageant de: Une heure d’attente pour une course à 10 balles, va chier.
Pourtant, tous les nouveaux venus dans la profession ont, sans exceptions, distribué leurs cartes de visite à tour de bras. Avec la promesse, au final non tenue, d’être ‘’meilleur’’ que les autres.
Quand je dis ‘’meilleur’’, il faut comprendre que pratiquement tous les nouveaux concessionnaires ne sont pas des AOC du coin, qu’ils travaillent au GPS le temps de connaître la ville et que le monde entier veut les empêcher de travailler parce que les ‘’autres’’ sont racistes, menteurs, malhonnêtes, jaloux et j’en passe.
Faire la connaissance d’un nouvel indépendant, c’est comme participer à une campagne présidentielle Made in USA, tant l’autre ‘’candidat’’ est un tocard. C’est la merde qui se fout du balai, mais ça marche.
Ce qui fait que les petites grands-mamans sont toutes contentes de retrouver un taxi disponible pour leurs petits déplacements urbains. Disponible jusqu’au moment où le nouveau venu fini par ‘’toucher’’ un client plus ‘’intéressant’’. A moins que Mammy soit large en ‘’bonne main’’.
La conscience professionnelle a fui le métier il y a 14 ans.

Et c’est Uber, avec ses concepts adaptés, personnalisés, qui veut rendre ses lettres de noblesse à la profession ? J’en doute.
Malheureusement les débordements de fin d’année du côté de Genève (les taxis officiels s’en prenant physiquement aux chauffeurs Uber) ne va pas améliorer la réputation des taximen de chez nous, ni d’ailleurs non plus, et Uber passera pour une pauvre victime innocente alors que ce sont bien les vrais professionnels, abandonnés par les politiques en place, qui sont menacés.

Alors entre concessionnaires locaux qui ont suivi la filière officielle de la profession pour nous servir et les amateurs googelisés qui remplissent les poches de Goldmann Sachs, il n’y a pas à hésiter !

Nemo.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire