mardi 2 février 2016

La Nature est résiliente. Paraît-il.

Dans un ouvrage édité en 1978, intitulé Délivrez Prométhée, Jérôme Deshusses posait un diagnostic peu encourageant sur l’état de notre biosphère.
Paru vers la fin d’une période qui a vu l’interdiction de baignade dans certaines parties du lac Léman, pour cause de pollution aux phosphates, Jérôme Deshusses s’interrogeait sur la quantité de gaz à effet de serre, au pluriel, que notre biosphère pouvait encore absorber et ‘’traiter’’ avant que notre atmosphère ne devienne une chambre à gaz mortelle pour nous autres et les créatures qui recouvrent la surface de notre globe. Mais pas que…

Déforestation, pollutions des sols et des nappes phréatiques, agriculture, nucléaire, nous… Tout y passe au long des 392 pages de l’ouvrage.
Concernant, nos cours d’eau ainsi que le monde halieutique, il écrivait :
"Plus de cinquante sortes de poissons ont disparu de la Seine.
La Moselle, l'Allier, l'Orne, la Marne, le Rhône sont pollués et se polluent à une vitesse croissante. Les eaux de la Lys, de la Deule, de l'Alzette (Luxembourg) et du Doniezt (URSS) ne peuvent servir ni à l'irrigation ni aux lavages grossiers des usines métallurgiques. Impossible d'arroser un jardin avec l'eau de la Sorgue, issue de la fontaine de Vaucluse que les légendes disaient rajeunissante. La rivière Maine faillit naguère être empoisonnée d'un bout à l'autre par un bocal de sang qui contenait le sérum de l'hépatite virale.

L'ensemble des matières toxiques déposées dans les eaux douces françaises remplirait 10'000 trains de 600 tonnes chacun. Tous les affluents du Pô sont en voie de putréfaction. Les environs de Ferrare, où sont installées des sucreries, n'ont plus un ruisseau qui ne soit un canal microbien et dont l'eau ne ressemble à la fange d'un collecteur. L'Escaut, la Meuse, la Sambre sont proches de la "mort biologique". Le Potomac reçoit chaque jour un million de mètres cubes de déchets qu'il serait incapable de dégrader même s'il était encore vivant. La ville de Saint-Louis n'utilise plus les eaux du Mississippi pour les travaux agricoles.

Mais le Rhin fait mieux: il est vrai que trois pays au moins y contribuent. En 1970 déjà, le fleuve a charrié 85'000 kilos de mercure et un million de kilos d'arsenic. Il reçoit des mines alsaciennes 20'000 kilos de potasse par jour, et des usines allemandes, françaises et hollandaises une tonne d'insecticides divers par mois, sans compter les apports de l'industrie chimique suisse. Il arrive en mer du Nord chargé de 60 millions de tonnes de déchets par jour…!
Les fleuves qui se jettent dans l'Adriatique près de Ravenne et d'Ancône ont presque le degré de toxicité du lac Erié (interdit de baignade). La Bidassoa disperse en mer 15 tonnes de déchets organiques et industriels par jour (…)

Aux environs des centrales nucléaires et de nombreux complexes industriels, l'eau se réchauffe et absorbe moins d'oxygène encore: les matières organiques se décomposent mal ou plus du tout, la flore change, les poissons meurent et l'égout fait le reste. (…) les eaux de surface reçoivent, en Allemagne 50'000 tonnes d'hydrocarbures par an.
Les pluies ne renouvellent plus l'eau: elles sont presque toujours polluantes, et parfois gravement. Tandis qu'on trouve fréquemment des hormones de pilules contraceptives dans l'eau potable, et cela dans tous les pays industriels, l'eau courante de New-York renferme des substances radioactives (…)
Dans la baie de Tokyo, la survie d'un poisson ne dépasse pas 4 heures. Il suffit d'une aspersion de détergent pour faire crever les albatros en masse.

Quelques décharges radioactives désorientent à jamais les tortues de mer. L'odeur du pétrole égare les poisons les plus évolués, et elle est, dans le milieu océanique, aussi omniprésente que le pétrole lui-même, qui tue la faune marine sans distinction; deux tiers des oiseaux de Hawaii sont éteints, les tortues des Galapagos dépérissent, le pygargue suédois, qui vivait de la mer, y a succombé au mercure. A quoi servaient macareux, guillemots, pétrels, (…), tortues, et de quels équilibres subtils ces maillons de l'immense chaîne étaient-ils la garantie? On l'ignore (…)

Le mercure seul suffit à rendre toxiques, après les avoir décimés, tous les poissons de mer. Un thon sur quatre est interdit de vente aux Etats-Unis. L'espadon l'est entièrement, la morue le sera sous peu, et on ne fait que commencer. Un poisson pêché en Suède peut contenir cent fois la dose "permise" (permise par complaisance commerciale, bien entendu) et deux fois la dose mortelle. Et pourtant, aux normes suédoises, les pêcheries du Danemark seraient presque toutes fermées. La Science change curieusement d'opinion en passant les frontières." C’était il y a 38 ans.

Monsieur Deshusses n’a pas été le précurseur d’un mouvement ‘’écologique.’’ D’autres l’ont précédé dans cette pensée qu’il fallait absolument préserver notre terre qui pourrait nous fournir, si nous lui laissions le temps de vivre à son rythme, tout ce dont nous aurions besoin pour subsister quelques siècles encore. Mais ce n'est pas le cas.
Avons-nous pris conscience qu’il fallait cesser de détruire notre environnement ? J’en doute.
Nous avons entendu certaines personnalités nous parler de l’environnement ;
Nous avons écouté les scientifiques – parce que la preuve, même absurde, est plus importante que le ‘’bon sens’’, nous nommer les agents chimiques polluants et leurs effets possible sur notre organisme ;
Nous avons compris que nous devions changer nos habitudes.
Mais avons-nous pris conscience du danger qui nous guette ?
Je n’en suis pas si sûr.
Parce qu’un jour un personnage fictif a prononcé dans son dialogue : « Life finds a way. »
Parce que l’on dit que la nature est résiliente.

Des observations qui, traduites dans une arrogante pensée anthropomorphique, sont d’une vérité riche en encouragements, rassurantes. Sans chercher à comprendre la menace qui se cache derrière ces belles paroles.
Alors l’homme continue de se croire plus fort que son environnement ; il continue de croire qu’il est l’aboutissement du développement de la Vie.
Nous sommes devenus une force à la créatrice, mais surtout destructrice. Une force géologique et meurtrière. Et parce que nous avons tout oublié de nos origines, nous continuons à creuser, à forer, à détruire, à consommer… avec encore plus d’énergie. Celle du désespoir.

Aujourd’hui nous pouvons nous baigner dans le Léman. Il n’y a plus de phosphate.
Mais il arrive ‘’parfois’’ que le service de l’environnement émette une interdiction de baignade provisoire « suite à une rupture de conduite des eaux usées. » Comme dans d’autres lacs de Suisse.
Il arrive parfois que l’on nous informe que des bactéries résistantes aux antibiotiques ont été découvertes, à quelques dizaines de mètres de la plage de Vidy, dans le Léman. Où est rejetée l’eau venant des centrales d’épurations…
Une dégradation du milieu lacustre de plus qui s’ajoute aux concentrations étonnamment élevées de microplastiques présents dans le Léman. Une pollution qui ‘’inquiète.’’ Sans plus.
On apprend, au détour des médias, qu’un mélange d’hydrocarbures et de solvants s’est déversé dans un cours d’eau vaudois pendant trois jours, créant une pollution qui a tué la faune et la flore sur des centaines de mètres, que l’origine de cette pollution est un mystère.
Et le garde faune de nous rassurer : "Le cours d’eau s’en remettra…" Bien sûr, la nature est résiliente.

Des reportages parlent de l’état de santé déplorable des cours d’eau Helvétique, de la lente agonie du Doubs. Rien ne change dans nos engagements.
On apprend, sans être stupéfait, que l’eau potable lausannoise est la plus polluée de Suisse. Qu’elle contiendrait « une multitude de produits chimiques » pouvant causer « la malformation de certaines espèces animales. » Ouf ! Homo Sapiens n’est pas un animal et il boit de l’eau en bouteille…

Quatorze produits chimiques différents, dans l’eau de Lausanne !
Si j’étais nostalgique je dirais que l’époque pendant laquelle il n’y avait ‘’que’’ du phosphate dans l’eau, me manque.
Je sais. Ce n’est pas drôle.

J’aurais envie de dire que les choses n’ont pas changé. Ce qui en soit est faux.
Monsieur Deshusses parlait, il y a quarante ans, de la pollution du Rhône…
Dans un rapport fait en 2013, l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse constatait que les cours d’eau de l’Hexagone sont malades. Le Dauphiné Libéré écrivait à l’époque que Le Rhône « concentre tous les micropolluants imaginables », et qu’une partie de ces produits venait de la Confédération.
Selon le rapport, « 40% des cours d’eau et 20% des nappes souterraines sont contaminées par une ou plusieurs substances pesticides (…) Parmi elles figurent de très nombreuses molécules interdites en France ». Mais 49 substances prohibées retrouvées dans les rivières « sont libres à la vente en Suisse et en Espagne. »
Les propos furent confirmés par Beat Schmitter un des scientifique de l’Office fédérale de l’agriculture : « La terbuthylazine et le Diuron sont des herbicides qui restent autorisés dans notre pays, contrairement à la France », et aucune loi n’interdit de les vendre à l’étranger.
Il parle également de l’Atrazine, le produit le plus dangereux de la liste. Un produit qui était utilisé par les vignerons Suisses. S’il est prohibé en France depuis 2003, il n’ a été retiré du marché helvétique qu’en 2011 seulement.
L’Atrazine. Retiré des marchés il y a cinq ans, mais qui continue d’être présent aux robinets lausannois en 2016…

En 2003, 150 zones "mortes" recensées dans nos mers et océans - c.-à-d. une zone suffisamment appauvrie en oxygène pour asphyxier toute la faune marine (du moins ceux qui nagent pas assez vite pour fuir, ou ne nagent pas du tout.)
En 2008, un autre rapport sur le même sujet, en dénombrait 450! La plus grande atteignant une surface de 70'000 kilomètres carrés.
En mer Baltique, toutes les formes de vies supérieures ont disparues en quelques dizaines d'années, laissant la place à des bactéries primitives assez proches de celles qui vivaient il y a des milliards d'années, bien avant "Nous".
« Life finds a way. » Même sans oxygène. Le pourrions-nous ?

L'Atlantique Nord n'est pas en reste non plus: il est devenu la zone où les déserts aquatiques progressent le plus vite (+ 8,3% par année).
Toute la façade atlantique des Etats-Unis, du golfe du Mexique, plus une partie de la mer des caraïbes, au golfe du Saint-Laurent est morte, ou à l'agonie.
Du Portugal au Danemark, la mer Baltique, toutes les côtes de la scandinavie et de la Grande Bretagne : idem.
La mer de Chine étouffe et L'archipel qui constitue le Japon est cerné par un désert aquatique.
Fukushima est là pour nous assurer que ce qui a été ‘’tué’’ ne reviendra pas avant des centaines d’années. Comme à Tchernobyl.

Nous avons perdu 86% des gros poissons de mer en 50 ans. Mais il en reste encore.
Alors Baleines et cachalots viennent crever sur les plages des pays dits civilisés dans une indifférence quasi générale. Et l’homme de science cherche encore une explication, veut faire une ‘’autopsie’’ pour comprendre. Pauvres cons !

En 2012 une estimation avançait le chiffre de 11 milliards... pour le nombre d'objets, de toutes tailles, de toutes formes et de consistances différentes qui sont "oubliés" par inadvertance volontaire, et qui finissent, chaque jour, dans le monde marin.
11 milliards d'objets, dont 80% provenant des terres émergées et majoritairement constitués de produits en plastique. Des produits à usage unique, donc jetables.
Il était estimé qu'il y aurait 13'000 morceaux de plastique au kilomètre carré dans l'océan; pour un poids supposé de plus de 100 millions de tonnes.
De l'Arctique à l'Antarctique, en passant par les grands fonds du Pacifique, les déchets en plastique sont omniprésents. L’indignation ne dure qu’un temps, celui du reportage. Et nous continuons notre littering.

J’ose une parenthèse. Aujourd’hui, pour des raisons ultra-sécuritaires, Europol définit de terrorismes des actes divers et variés : Les néo-nazis et antifa peuvent être des terroristes, comme le djihadiste et l’activiste écologique. Mais pas Monsieur A. Brievik !
Environnementalement parlant, la généralisation de la pollution n’existe pas vraiment. Nous avons certes les gros pollueurs : ceux qui produisent ce que nous consommons. Et en face il y a les consommateurs.
Le premier pollue mais pas le second. Le consommateur fait, dans le pire des cas, du littering, du rejet sauvage de déchets et, dans le meilleur des cas, le consommateur produit des déchets valorisables. Une valorisation des ses merdes dont il ne retirera que très, très peu de bénéfices.
Définir le consommateur de ‘’pollueur’’ serait faire courir un risque économique aux premiers. Alors nous parlons d’incivilité, d’irrespect, dans l’espace public ‘’renaturé’’ de nos villes… Fin de la )

Revenons à nos moutons.
Nous ne sommes pas les rois de la Terre. Que ce soit sur terre, dans les airs ou au fond des océans, nous ne sommes pas les créatures les plus puissantes sur la surface de ce globe. Nous ne sommes pas le prédateur ultime !
Nous sommes peut-être, je dis bien ‘’peut-être’’ la créature la plus intelligente sur terre, mais à quoi nous sert ce formidable pouvoir de l’intellect ? A rien d’autre que de nous comporter comme des porcs.
Nous, nous ne sommes que des passagers sur une planète en mouvement dans le vide de l’espace.
Nous n’avons pas été les premiers organismes vivants sur cette planète.
Même dans la Genèse, l’environnement a été conçu et préparé avant l’arrivée du bipède nu et de sa compagne. Et nous vivons, nous survivons, (in)justement grâce à cet environnement. L’oublier est suicidaire.

La Nature n’est résiliente que parce que cela nous arrange. « La Vie trouve un chemin. » Oui, mais c’est son chemin qu’elle trouve. Pas le notre. Nous, nous la suivons.
La Nature ne fait aucune distinction entre le ‘’Bien’’ et le ‘’Mal’’. Elle ne se soucie que d’équilibre ou de déséquilibre. La Nature a une intelligence qui nous échappe totalement et elle possède les outils qui lui sont, ou seront, utiles quand elle devra ramener l’harmonie sur cette Terre.
Combien de temps pourrons-nous vivre encore en sympathie avec notre environnement ?
Je veux dire par là, quand arrivera le moment où nous serons les dernières victimes de nos pollutions, pour laisser la place à une autre forme de vie ?
Nous pratiquons la déforestation intensive et nous polluons nos océans avec la même détermination alors que ce sont les poumons de notre existence ; que les deux captent nos gaz pollués pour nous rendre de l’oxygène.
Quand l’océan nous rendra du CO2 et qu’il n’y aura pas assez de surface végétale pour absorber le surplus, que se passera-t-il ?
La question se pose aussi dans l’autre sens… Parce que si nous foutons en l’air notre végétation, le volume de gaz qu’elle transformait se reporte sur la capacité qu’ont les océans à faire le boulot à leur place. Mais voilà, les océans sont déjà malades.

Nous n’en sommes pas encore là. Du moins je l’espère. Mais la Nature nous envoie des signaux. Non pas des signaux sur son état de santé – nous les avons déjà reçu mais nous n’y avons pas répondu avec sincérité. Elle commence à nous signifier son ras le bol de nous supporter et de nettoyer derrière nous.
Alors, quitte à me répéter, nous avons besoin de notre biosphère pour vivre, et de le respecter.
La Nature, elle, peut très bien se passer de nous.

Nemo.

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