mercredi 22 octobre 2014

Un ti bonhomme triste

Ce texte ne parle pas de la vie la d’un enfant perdu dans une lointaine contrée et forcé d’aller à la mine pour ramener un bout de pain rassis à mettre sur ce qui, appuyée contre le mur d’une pièce insalubre, sert de table.
Ce n’est non plus pas l’histoire d’un enfant kidnappé, séquestré, torturé ou rendu à l’esclavage, ni celle d’un garçon mutilé dans les décombres de ce qui fut sa maison, survivant miraculé, gisant au milieu de corps réduits en bouillie et qui ressemblent vaguement au cadavre d’une mère, d’un oncle, ou d’une sœur.
La souffrance de ce p’tit bonhomme ne fera jamais la ‘’Une’’ d’un journal télévisé et encore moins la manchette d’un quotidien en mal de sujets intelligents. Aucun groupe de soutien ne portera son nom, aucun « Nous sommes tous (…) », aucun cœur collectif ne battra à l’unisson pour (…) et aucun politicien ne rendra à ce p’tit bonhomme ce dont il a réellement besoin, et ce que les adultes lui ont lâchement retiré.

Pourtant, vous pourriez le croiser tous les jours, lui, ou l’un de ses copains de tristesses.
Il arrive parfois que sa photo orne le mur d’un réseau social quelconque. Une photo prise en souvenir d’un moment joyeux. Ephémère.
Un ‘’commentaire’’, qui dévoile aux ‘’amis’’, l’Amour intense que l’on voue à cette petite créature innocente que la Vie nous a confié.
Des ‘’like’’ qui finalement ne profitent qu’à celle, ou celui, qui les affiches.
« L’Amour véritable est celui que l’on porte à un enfant. » ai-je pu lire et entendre dans un passé pas si lointain que cela. Un titre magnifique pour un hymne grandiose qui purifie nos sentiments, qui glorifie notre parentalité au rythme des couplets de notre vie, et s’achève sur le refrain de toutes ces choses que nous ne ferons pas « par Amour pour notre  enfant. »

Le p’tit bonhomme qui souffre n’est pas un enfant qui, enfermé, isolé, cloisonné dans une cabane par les membres de son village, attend la mort aux côtés des corps sans vie de ses parents, terrassés par Ebola. Le p’tit de l’homme ne traîne pas non plus sa tristesse dans les corridors d’un orphelinat. D’ailleurs, il vit dans un pays où il n’y a pas d’orphelinats, juste des foyers d’accueils. Alors il n’a pas à attendre, derrière une fenêtre, la venue d’hypothétiques parents voulant l’adopter parce que la ‘’Nature’’ les a amputé des facultés biologiques nécessaire à la reproduction des espèces ; il n’a pas à espérer d’un rêve ‘’hollywoodien’’ dans l’environnement luxuriant des stars trop belles pour être déformées par les affres de la grossesse, et de la maternité ; il ne sera pas non plus le gadget utile de ces couples différents qui veulent absolument s’intégrer dans une certaine ‘’normalité’’.

Ses parents sont là. A tour de rôle.
A tour de rôle ils exercent leur devoir de père ou de mère, amenant, à tour de rôle, leur vision monochromatique des événements qui lèsent son existence ; révélant, à tour de rôle, leurs explications monophoniques qui contraignent trop souvent le p’tit bonhomme à se murer dans un cruel silence, simplement parce que l’un ne doit pas savoir ce que l’autre a dit, ou fait. Parce qu’à tour de rôle l’un, ou l’autre, devient le gentil ou le méchant.
Pourtant, comme elles étaient belles ces paroles qui auguraient, à cette existence volontairement tirée du néant, une vie pleine d’amour, de joies, d’espérances et de ‘’présences’’. Des promesses emportées trop facilement par les vents tumultueux d’un orage, parce que la volonté de ceux qui en ont fait leurs vœux n’a pas le souvenir, enfoui dans leur cœur, de ce lien qui unit l’adulte à sa descendance.
L’adulte oublie ce que l’esprit du jeune enfant ne peut retenir et quand celui-ci commence à pressentir l’importance de ses parents, il comprend que la maison de l’autre, la maison de cet homme que maman voit en cachette, va devenir sa deuxième maison. Il doit alors accepter, sans comprendre, que ses parents ne seront plus sa famille ; il doit accepter, encore dans la même ignorance, qu’ils se partageront le temps à passer avec lui.

Le p’tit bonhomme a beau pleurer, rien n’y fait ; le p’tit bonhomme a beau réclamer ses parents ensemble, rien ne changera. Pas même une fois, pour un Noël, pour un anniversaire ou un après-midi au cirque.
La souffrance se fait muette, assombrit le regard, se transforme en une tristesse omniprésente tant il lui est devenu difficile d’exprimer son besoin de ses parents à sa mère, sans entendre en réponse des « mots méchants » à l’encontre de son père. Des paroles qu’il se force à ne pas écouter et qui le blessent d’autant plus quand maman laisse, cet homme qu’elle lui demande d’appeler ‘’beau-papa’’, insulter son père en sa présence.

La tristesse s’enracine quand sa maman se dépêche de donner vie à un petit frère utérin. Certes sa famille explosée s’agrandit mais comme il le dira, à la seule personne qui prend encore le temps de l’écouter : « C’est pas juste qu’un enfant peut avoir son papa et sa maman et pas un autre. »
La tristesse se nimbe de brouillard quand sa mère prend le nom de son nouveau mâle dominant, un patronyme qui reviendra également à son ‘’frère’’ alors que lui-même doit se contenter du nom de jeune fille de sa génitrice. « Je suis le seul ‘’X’’ », dira-t-il un jour. ‘’X’’ étant le nom du grand-père maternel qui a fui ses responsabilités économiques et familiales il y a bientôt 20 ans, en laissant deux filles derrière lui…

Peut-être que pour celles et ceux, qui ne voient dans le patrimoine familial qu’une valeur archaïque dont la société actuelle doit se débarrasser, un patronyme n’est qu’un assemblage de lettres, une appellation quelconque qui ne veut plus rien dire ; parce qu’il faut absolument ne pas être le fruit de l’osmose de nos parents, parce que nous devons développer notre propre identité.
Pourtant c’est bien par notre prénom que l’on nous interpelle, et par notre nom que l’on nous nomme. De façon plus respectueuse qu’un « Macouille Fils de Pute. »

Arrive alors la proposition du pédopsychiatre, chargé de faire comprendre au jeune esprit en formation que c’est normal ; que l’on n’a pas toujours ce que l’on veut (quand on est petit) ; que quand les grandes personnes ne peuvent plus vivre ensemble, c’est normal qu’elles se séparent pour éviter de faire souffrir l’enfant, parce que « Tu n’aimes pas quand Papa et maman se disputent. » Alors il est expliqué au p’tit bonhomme que papa et maman doivent refaire leur vie pour retrouver le sourire, pour être mieux dans leur tête et, ainsi, mieux avec le p’tit bonhomme.
L’enfant qui aime ses parents, qui ne veut pas les voir triste, ne peut qu’approuver cette logique qui sous entend que le bonheur, c’est pas ensemble, en famille. Mais que cela est bien, parce que cela fera plus de cadeaux aux anniversaires et aux fêtes de noël. C’est plus facile que de chercher à comprendre ce que signifie la petite phrase de l’enfant qui affirme que sa « maman lui donne pas à manger ».
Alors, à quand les bons d’achats chez King's Jouets, mis à disposition des parents sur les tables, dans les salles d’attentes des pédopsys ?
Tout ça dans « l’intérêt supérieur de l’enfant », une magnifique inscription, gravée à la plume de canard, sur le premier nuage qui passe.
Mais qui s’en soucie réellement de l’intérêt ‘’supérieur’’ de l’enfant ? Les parents séparateurs qui ne pensent qu’à leur petite personne ? Les services d’entraide ‘’familiale’’ qui avalisent l’explosion des familles nucléaires ou les psys qui se dépêchent de les justifier ?

Le p’tit bonhomme se raccroche dès lors à ce qu’il peut : Une maîtresse d’école ; une petite copine et ses copains d’école; un sport. Une semaine sur deux, il a la possibilité de développer ses relations, dites sociales, en dehors du cercle scolaire. Une semaine sur deux, le papa doit re-expliquer à Simon, Dani, Sarah, Cecelia, Erblin, Claudia, Gilxhan (Gildjane), Edi, etc pourquoi leur copain n’est pas là.
Mais déjà les « Ouaich », les « Ca va mec », la p’tite racaille qui squatte le vestiaire du club de foot, « les enfants qui ne parlent pas français à la maison », ou le ‘’meilleur ami’’ qui sait à 7 ans, grâce à l’explication détaillée faite par son oncle, comment l’Etat Islamique décapite ses prisonniers, sont les prémisses des prochaines prises de tête qu’initiera l’un de ses parents parce que l’enfant doit parler correctement le français, respecter la vie et son environnement ; parce qu’il doit apprendre les vraies valeurs de la life. Des valeurs qui se distillent uniquement à flan de colline, dans une petite maison dont les portes se sont ouvertes grâce à quelques exercices aquatiques, offerts dans le grand jacuzzi plein air, au maître des lieux, et non pas dans un quartier ghetto d’appartes subventionnés squattés par des cas sociaux, et où réside le père.

L’enfant doit faire la gloire de sa mère et la fierté de son arrière grand-mère. L’enfant devra réussir là où ses parents ont échoué. Mais comment le pourra-t-il, s’il devient le réceptacle des défauts de ses parents ? Comment se tracer une Juste voie sur un chemin joncher de discriminations, de reproches, de jugements à ‘’l’emporte pièce’’ et de comportements égoïstes ou égocentriques, sans ‘’décevoir’’ l’un ou l’autre des parents?
Mission délicate qui peut demander de flirter avec les limites de l’aliénation parentale, sans que le ‘’camp’’ adverse ne monte aux barricades.
Pourtant, quand les parents ne sont pas encore d’irréductibles ennemis, les divergences d’opinions ne sont pas des conflits ouverts, ce sont des discussions qui permettent à l’enfant, s’il en est le témoin passif, de découvrir qu’un « Je ne suis pas d’accord avec toi » s’argumente dans le respect de l’idée de son interlocuteur, et ne se clôt pas dans un commentaire insultant, dévalorisant, à l’encontre de la personne qui avance une certaine idée.

Mais encore faut-il que les adultes aient, dans un recoin de leur mémoire, le souvenir de cette réflexion qui permet aux idées ‘’différentes’’ de s’exprimer et de leur accorder leur part de vérité.
Encore faut-il que les adultes aient la volonté de se défaire des craintes de leur enfance, des aliénations commises par leurs parents et qu’ils oublient toutes les saloperies qu’un père, ou une mère, aient pu dire sur leur conjoint-e.
Pour cela, il faudrait que les parents se souviennent du ‘’pourquoi’’ ils ont décidé de s’unir pour créer une vie nouvelle, qu’ils se souviennent des promesses faites à l’innocent et, qu’enfin, ils aient le courage de croire que l’autre n’est pas un ennemi qui cherche absolument à le dévaloriser. Même si cela est inscrit dans leur mémoire.

Le p’tit bonhomme ne veut pas hériter de cette mémoire. Il a compris que ses parents ne seront plus ‘’ensemble’’ et il demande, à sa manière, qu’à leur tour, ils comprennent qu’il a besoin qu’ils deviennent des amis.
Parce que si les cadeaux ont permis de ne pas répondre, pour le moment, aux questions qui ‘’dérangent’’, ils ne suffiront jamais à combler le vide béant causé par l’absence de l’autre être aimé.

Nemo.

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