mercredi 17 décembre 2014

Loyale concurrence

L’autre jour, pendant que j’attendais que mon gentil garagiste pas cher monte les pneus d’hiver sur mon T4 tout pourri, chuis parti au contact de quelques commerçants qui s’accrochent pour qu’un semblant de vie subsiste dans Vevey-Est.
Les puristes géographes et fins connaisseurs de Vevey ne manqueront pas de me rappeler que la Place du Marché, la Vieille-ville, la rue piétonne du Lac et le Simplon-centre ouvert par la Coop sont situés dans la partie ‘’Est’’ de la ville. Ce qui n’empêche pas, en poursuivant sa route vers le ‘’Levant’’, qu’à partir de l’Hôtel de Ville et la Rue du Panorama jusqu’à l’Avenue des Alpes (La Tour-de-Peilz) le presque désert économique s’est installé dans cette portion de la ville, et que le pôle consumériste de Vevey se situe bien entre le centre St-Antoine (Manor) et Migros-Coindet. Avec une tendance à l’expansion vers le couchant.

Ma promenade m’a emmené d’un oasis artisanal à l’autre, à la redécouverte de ‘’petits poucets’’ qui ne courbent pas l’échine (pour le moment encore) devant les golgoths de la distribution. Et qui, face à l’ouverture toute récente du discounter national qu’est Denner (à la place de l’Epa, sacrifiée pour la gloire de la Coop), ont décidé de redoubler d’efforts pour ne pas se faire bouffer par le géant orange. Je dis ‘’orange’’ parce que Denner (rouge) est devenu la propriété de la Migros (orange).
Ce qui fait qu’aujourd’hui, entre les deux bâtiments de Nestlé (Bureaux Bergère et Nestlé Suisse), soit 2 à 2,5 km en ligne droite, il n’y a pas moins de six points de ventes ‘’gestionnés’’ par le « M » magique qui promet des produits tout frais de la région. 4 enseignes Denner et 2 Migros. Contre 1 Coop et 1 Manor. Dire, à ce niveau là que ce sont les Suisses Allemands qui décident de ce que nous allons manger, nous autres Velches, n’est pas tout faux.

Revenons à nos héros du commerce local.
« Ze fork », le restaurant le mieux situé de Vevey (sur le quai Perdonnet dans la portion interdite à la circulation) qui ne désemplit pas depuis son ouverture et où il faut absolument réserver si vous voulez avoir une table libre pour manger ; le « Marina », une centaine de mètres plus loin, accueillant tea-room pour les mamans, en quête de soleil, de tranquillité, de pâtisseries faites ‘’maison’’, et qui peuvent laisser leurs bambins se fatiguer dans le petit parc, fermé, juste à côté. Un « Marina », qui a décidé de traverser le bâtiment qui l’héberge pour offrir un point de vente avec pignon sur la Rue d’Italie.
La Rue d’Italie qui voit se succéder  « Dog City », qui bataille dur contre Qualipet ; le bar « Le Bout du monde », qui devient gentiment le QG de campagne des alter-mondialistes locaux, juste à côté du théâtre de l’Oriental fraîchement rénové ; le disquaire qui ne vend que des vinyls ; le « Neptune » centre de danses pour les ‘’djeuns’’ avec ses cours de Hip-hop ou autres et des salons de coiffures. J’oublie le vendeur tv et le réparateur de computer et l’antiquaire…
Surtout il y a le « Côté potager » et Mlle Forney son infatigable, mais pas inusable proprio, qui a décidé d’agrandir son épicerie de produits frais pour offrir encore plus de produits frais bio de saison, garantis de chez nous. En face de sa porte il y a le kiosque à Michel qui vend depuis trente ans des revues gays sans que qui que ce soit n’y trouve à redire. La pharmacie des Trois couronnes, devenue Benu pour le plus grand plaisir de La Poste qui a fermé son office de quartier il y a peu.

Derrière le fameux Denner, il y a l’un des plus vieux café de Vevey : le Café de la Valsainte. A côté, l’homme de Lecce a ouvert son épicerie Italienne : « Chez Mario », qui prépare tous les midis des menus simples mais appétissants, en plus de faire quotidiennement les meilleures lasagnes de la galaxie ; et Ines la coiffeuse indépendante, deux portes plus loin, qui a refait la déco de son salon sans pour autant revoir ses tarifs à la hausse. Elle continue donc à proposer la simple coupe homme la meilleure marché de Vevey, si ce n’est des environs.
Si je parle de Mario, je dois parler del Signore Lagona qui tient la Salumeria italiana depuis 15 ans déjà. Des épiceries concurrentes, Portugaises, Brésiliennes, Indiennes sont venues ouvrir pas loin de sa porte. La dernière est encore là, les autres ont fermé. M Lagona chasse sur ses terres et propose des produits droit de chez lui : la Sicile avec une modeste, mais jolie cave pleine de vins que l’on ne trouvera ni à la Coop, ni chez Denner, ni nulle part ailleurs. (De mémoire) : Ripasso della valpolicella, Ergenta ou le trésor en bouche de Sassicaia. Des liqueurs dont je n’ai pas retenu le nom mais sacrément bonnes.

J’ai fait un bout de trottoir avec une jeune et fringante retraitée qui m’a raconté la vie qui animait la Rue au temps de Sudi-Collet, du confiseur, du boulanger ou de la laiterie Tornare. Tous disparus du PIB veveysan comme bientôt la Coutellerie du lac. J’ai croisé José et Marina, en couple depuis plus de trente ans. J’ai regardé tourner les machines de la laverie automatique qui a remplacé la boutique de vêtements et articles de décorations Indiens et taillé une bavette avec l’inconnue patronne de Jenif’Hair. Avant de finir chez LOG (Log On Games).
Magasin de DVD et (surtout) de jeux vidéos, inauguré il y a 16 ans par un mordu de… jeux vidéos et de Kung-Fu Shaolin. Ce qui fait que l’on trouve aussi des vêtements made in China, pas cher du tout, vu qu’il va les chercher lui-même du côté de l’Empire du Milieu.
Mr LOG, en plus de diriger 3 entraînement de Kung-fu, organise même, une fois par année, un week-end initiatique aux plaisirs de l’entraînement à la ‘’Shaolin’’. Avec professeurs tout jaune et les yeux plissés qui viennent décourager les plus téméraires et démonstrations acrobatiques.
Son rêve : ouvrir un centre Shaolin francophone dans le Valais, parce qu’il sait bien, qu’à la longue les Mediamarkt, FNAC et autres Manor finiront par avoir économiquement sa peau.

Il me raconte comment, grâce à Manor, il a perdu l’avantage qu’il avait obtenu auprès de Sony, qui lui livrait ses nouveautés trois jours avant les grandes surfaces. Parce que lui le petit ne pouvait pas avoir les produits, qu’il commandait en plus petite quantité que le Grand, avant le Grand ; parce que ce n’était pas de la loyale concurrence.
Il raconte aussi ses déboires quand il a voulu ouvrir, comme le Grand, son magasin à minuit le jour de la sortie de la PS3. L’ouverture nocturne lui fut clairement refusée. Alors Mr LOG décida d’ouvrir personnellement son magaze le lendemain à 0600. Ce que la Police du commerce désapprouva fortement, quelques heures plus tard… Il fut même menacé de sanctions alors que les patrons de Manor avaient laissé leurs employés faire des heures sup’ nocturnes.

Au courant de cette ‘’affaire’’ un client LOG, qui est également journaliste, décida d’en faire un article. Une fois rédigé, l’article fut présenté au rédacteur en chef qui, en toute impartialité, est allé le soumettre à la direction de Manor. Ne serait-ce que pour obtenir leur avis sur ce cas, disons litigieux. La réponse de Manor fut nette et sans appel : Il n’était pas question que le journal en question publie un article contre « un client qui laisse plus de 10'000 francs de pub par mois dans [le dit]  journal. »
L’article fut donc réécrit et censuré de tout ce qui aurait pu permettre de penser que Manor ne suivait pas les règles prescrites par la Police du commerce ou pratiquait de la concurrence déloyale.
A méditer...

Pour conclure je dirai : retournez chez les petits commerçants, ceux du quartier que vous traversez pour vous rendre dans les centres commerciaux. Tout y est certainement un peu plus cher, mais le temps que vous consacrerez naturellement au contact humain vous évitera peut-être de vous faire piéger par les tentations d’achats compulsifs. Ce qui, au final, pourrait bien vous enrichir en vous faisant faire des économies.

Nemo.

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