mercredi 14 octobre 2015

Question de perception

Liés à la perception – utilisé dans un sens général, je vois l’information et l’émotion.
L’information me donne une définition du mot que j’entends, une explication sur un phénomène que j’observe ou met un terme sur un nouvel objet que je vois, ou encore un bruit que j’entendrais. L’émotion est là pour me dire si je trouve cela plaisant ou désagréable.
Quoi qu’en pensent nos dirigeants politiques ou financiers, nous restons ‘’guidés’’ par nos émotions. Nous allons en vacances dans des endroits qui nous plaisent ; nos amis sont choisis selon divers ‘’critères’’ qui nous conviennent et le regard que nous posons sur le monde qui nous entoure est filtré par ce que nous en avons appris. Je pourrais ne jamais voir les montagnes qui entourent ma région, ou n’y prêter que peu d’attention, ou alors percevoir la beauté du monde tous les matins à mon réveil.

Si « Le monde est changement [et que] ce sont nos pensées qui déterminent nos vies » comme l’affirmait Marc Aurèle, alors la clé pour toutes nos transformations serait la perception.
Je me souviens d’une ‘’observation’’ faite avec mon ti bonhomme il y a quelques années.
Un soir, alors qu’il avait de la peine à s’endormir, je lui ai proposé d’écouter les bruits de ‘’dehors’’.
Au bout de quelques minutes, je lui demande ce qu’il a entendu. Il me répond : « Rien. »
En fait, il entendait beaucoup de sons provenant de l’extérieur mais ne sachant pas à ‘’quoi’’ ils correspondaient, son esprit les assimilaient à de simple bruits.
Là-dessus est arrivée la bimbo du deuxième, que nous avons pu ‘’suivre’’, au son de ses talons, dans la cour extérieure jusqu’au moment où les portes de l’ascenseur se sont refermées derrière elle.

Je peux imaginer que j’habite une ville remplie de vieilles bâtisses, mais comme je n’y connais rien en architecture, je regarde ces maisons sans vraiment les voir. Un jour je lis un article qui parle d’un certain style architectural. Cela m’intéresse, je vais au bout de ma lecture. J’enregistre ces informations et je deviens capable d’identifier une bonne partie des maisons bâties selon le style que j’ai récemment ‘’découvert’’. Le regard que je porte sur les maisons qui constituent ‘’ma’’ ville a changé.
Dans un même idée, l’automobiliste qui passe son temps dans la circulation, finit par ne plus faire attention aux véhicules qu’il croise (marque, carrosserie, couleur). Par contre, quand il vient d’acquérir un nouveau véhicule, il repère presque instantanément les voitures de la marque qu’il conduit, voire le même modèle.

Nous appréhendons le monde selon les connaissances que nous en avons, l’apprentissage et les expériences que nous avons eues. Nos parents et les membres de notre famille (se) sont chargés d’initier notre découverte de la vie et de notre socialisation avant que les enseignant-e-s du milieu scolaire obligatoire, gymnasien ou universitaire ne prennent la relève.
Ces personnes nous ont orientées dans nos choix de vie : nos parents en souhaitant nous voir ‘’réussir’’, afin qu’ils en retirent une fierté souvent égocentrée ; le corps enseignant en nous préparant à prendre la relève des esclaves d’un système qui a anéanti le rêve qui l’a créé.
En Chine le cerf-volant est une vision métaphorique de l’éducation «  Nous comparons les enfants à un cerf-volant qui serait retenu au sol par les parents et l’école. Nous aimerions le voir voler plus haut, mais en réalité nous faisons tout pour le contrôler. Pour garder le contrôle. C’est à cela que ressemble le concept éducatif de nombreux parents. »
[Yang Dongping, professeur à l’institut pédagogique de la Faculté des sciences de Pékin.]

Pour Gerald Hüther, professeur de neurobiologie, « chaque enfant vient au monde avec des qualités différentes. Pour cette raison, chaque enfant est surdoué. » Mais parce qu’il y a des ‘’qualités’’ qui ont plus de valeur que d’autres ; parce que nous faisons une évaluation des qualités humaines sur la base de nos attentes ridicules ; parce que l’Avenir est devenu plus important que le Présent, nos incessantes interférences, nos manipulations dans « les merveilleux processus d’auto-organisation du cerveau de l’enfant » peuvent faire «  qu’un être à l’origine surdoué finit par perdre confiance en lui. »
Peut-être avons-nous là un début d’explication sur l’avènement des ‘’coaching personnel’’…
Ensuite, vient le tour du monde virtuel et arbitraire de l’économie de marché, ou mondiale, de nous imposer la perception de son univers.

La réussite n’est plus humble, elle est devenue bruyante et s’exprime dans la multiplication des signes extérieurs de richesse.
Le ‘’progrès’’, qui élève le niveau de vie de l’individu aussi bien sur un plan financier, sanitaire et moral disparaît sous l’écrasante obligation de la ‘’croissance’’ PIBienne.
L’honorabilité de l’individu ne se conjugue plus dans le respect d’une valeur éthique, dans l’accomplissement- quoi qu’il en coûte- des engagements pris, mais dans sa capacité à s’acquitter des ‘’dettes’’ qu’on l’a encouragé à contracter.
Les assauts permanents auxquels est confronté notre esprit, qu’ils soient publicitaires, ou autres, imposent à notre ‘’logique’’ de nouvelles définitions aux mots que nous utilisions quotidiennement, un anglicisme réducteur ou, parfois, un néologisme barbare. Ces mêmes assauts permanents nous conditionnent dans nos comportements quotidiens, dans nos déplacements, dans nos consommations.
Nous vivons dans le pays des libertés individuelles. Une liberté que nous devons à notre démocratie. Ainsi nous l’a-t-on expliqué. Sauf qu’en refusant de se voiler la face, l’on se rend bien compte que cette belle ‘’démocratie’’, qu’au dessus de cette belle démocratie, il y a une entité totalitaire pour laquelle disparaître n’est pas une option envisageable. Alors, pour assurer sa survie, elle dresse l’homme contre l’homme.

Après nous avoir montré à quelle norme sociale nous devons nous conformer pour être reconnu en tant qu’individu ‘intégré’’, après nous avoir ‘’vendu’’ quelque chose à perdre, on nous présente les personnes qui pourraient nous faire perdre notre job, notre pouvoir d’achat et de là notre accès au ‘’confort’’ ou encore notre sécurité.
L’autre est perçu comme un danger potentiel plus ou moins important pour notre ‘’bien-être’’ socioprofessionnel.
Dans les grandes entreprises, celles qui comptent quelques centaines d’employés, la perception de l’autre est importante. Chez nous, l’ouvrier de base contribue coûte que coûte à l’enrichissement personnel du grand patron, parce que sa peur de perdre son job est plus grande que le sentiment d’injustice lié aux méthodes qui accroissent la fortune de l’organe dirigeant. C’est comme ça.
L’employé est devenu ‘’fidèle’’ à ses supérieurs parce qu’en plus de verser un salaire, la direction met tout en œuvre pour que les équipes, qui sont éparpillées entre les murs d’un grand centre commercial, par exemple, soient unies – comme les membres d’une famille, et oeuvrent dans un but commun, développé et encouragé dans les séminaires d’entreprises.

La direction met également en place des sorties de personnels. Il y a bien sûr les incontournables souper de boîte en fin d’années. Avec la tendance nouvelle de faire connaître aux ‘’invités’’ le montant qu’aura dû verser le boss pour permettre le gueuleton.
« C’est avec un plaisir immense que de vous voir réunis ce soir, mais sachez que cela m’aura coûté tant ! »
En plus de cela, l’entreprise peut organiser, un fois par année, une excursion, une ballade, une journée ludique… Ce qui fait que pour l’employée, doublement mère célibataire, elle doit son dernier voyage à ‘’Europa Park’’, à son employeur. Avec un départ très très tôt un dimanche matin, enfant sous le bras.

Cet esprit de ‘’famille’’ a cependant sa limite. Il n’est pas question de laisser la place à la prospérité des relations humaines, mais bien de soutenir la rentabilité du groupe. Dans la famille économique, qui supplante la famille sentimentale, il n’y a pas de place pour les fainéants, les agitateurs, les voleurs, ou autres.
Et pour que cette ‘’famille’’ le comprenne bien, la ‘’direction’’ montre, de temps en temps, qu’elle peut virer ‘’sur le champ’’ une employée malhonnête, avec dépôt de plainte à la clé. Une sanction sans appel, l’employée fusse-t-elle en dernière année d’apprentissage.
Le patron punit, mais il récompense aussi ses bons éléments.

Dans les grandes surfaces de la distribution agroalimentaire, et certainement dans toutes les grandes entreprises, c’est instauré l’évaluation personnelle. D’annuel, le truc devient semestriel.
L’évaluation personnel, c’est quand vous ‘’évaluez’’ la qualité du travail de vos collègues et que ceux-ci font de même pour vous. Vous évaluez les compétences du chef et celui-ci dit tout le bien qu’il pense de vous.
Le boss n’a plus besoin de vous surveillez, ce sont les membres de votre nouvelle ‘’famille’’ qui s’en chargent. Le plus fort, c’est que le boss n’en a rien à foutre de ces évaluations – il ne les lira jamais, parce que l’objectif à atteindre est bien de maintenir une cohésion de groupe, à tendance hypocrite, récompensée par de l’argent.

Si tu veux garder ta place, oublie que l’humain est levé contre l’humain au sein de ton équipe, et rappelle-toi que dehors, il y a des gens qui seraient tout content d’avoir ton job.
Et le nombre de personnes susceptibles de nous remplacer va méchamment augmenter…
François Hollande a annoncé, lors de son dernier passage chez les eurodépités, un truc du style :
« Les réfugiés doivent pouvoir travailler afin qu’ils puissent nourrir leur famille. »
Il n’a pas précisé à quelles conditions.
Je ne vais pas revenir sur la catastrophe socioprofessionnelle qu’augurent les accords du GMT (Grand Marché Transatlantique) et qui touchera les Etats signataires ainsi que leurs partenaires commerciaux. Mais le message est clair : Une nouvelle main d’œuvre, économiquement moins exigeante, arrive.
Faut-il se montrer prudent ? Oui. Faut-il leur en vouloir ? Non.

La mission de nos politiciens corrompus est multiple : Fournir aux sociétés multinationales un accès à des ressources humaines ‘’bon marché’’ ; trier la qualité des migrants qui se présentent aux portes de l’Europe ; faire accepter aux populations indigènes leur présence.
Les deux premières tâches sont ‘’faciles’’, la dernière demande un certain effort de communication.
Pour cela, on utilise le terme ‘’migrant’’ comme un générique qui définit chaque personne quittant son pays. En l’occurrence un randonneur qui change de continent avec sa famille et peu de bagages. A ne pas confondre avec l’expatrier qui va prendre sa retraite sur un autre continent, ou qui vient bosser plusieurs mois en Suisse pour Nestlé, par exemple. Toujours avec sa famille.
Le migrant quitte son pays pour des raisons économiques, climatiques ou de conflits. L’expatrier fuit son percepteur et la monotonie de son voisinage, ou vient s’enrichir à nos dépens.
Oublions l’ex pas trié, pour nous pencher sur ceux que l’on ‘’sélectionne’’.
Selon quel critère séparer l’ivraie du bon grain derrière les barbelés qui délimitent l’UE ? Par la souffrance que l’individu a enduré.
Comment savons-nous que tel ou telle personne a souffert ? Grâce aux reportages chocs que les courageux journalistes nous ont envoyé depuis les pays en guerre, ou en suivant quelques miséreux sur le long, et parsemé d’embûches, chemin de la ‘’migration’’.
Donc les premiers à accueillir sont les Syriens et l’on nous prépare à recevoir les Irakiens.
Il n’y a rien de discriminatoire dans ces quelques lignes. J’essaie juste de souligné que, à quelque part, quelques uns ont ‘’choisis’’ ‘’Qui’’ entrerait dans l’UE, ou pas.
Humainement, le choix ne se conteste pas. D’un autre côté, la surenchère d’images censées nous arracher des larmes, une surenchère de reportages censés sensibiliser notre perception sur une partie des migrants, devient suspecte.
Mais comme je l’ai écrit, la souffrance physique est le critère de sélection. Celui qui fuit la misère dans son pays, se verra renvoyé vers sa misère. Comme celui qui fuit sa terre ravagée par des catastrophes naturelles. A condition bien sûr qu’ils aient en leur possession un passeport précisant l’endroit vers ‘’où’’ les réexpédier.

Maintenant que nous connaissons les raisons qui font que certains peuvent venir chez nous, il faut nous présenter les motivations qui font que d’autres ne peuvent pas venir chez nous. Et là, on sort le mot magique, celui qui ferme toutes les frontières, celui qui autorise tous les moyens de contrôles : Terroriste.
Pour Europol, la classification d’acte terroriste est aussi générique. Elle recense toutes les actions violentes et/ou explosives contre une minorité ou une institution étatique, commises par des factions d’inclinaison politique allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par les écolos activistes.
A charge des médias de faire le tri et nous définir ce que nous devrons percevoir comme un acte raciste, xénophobe, discriminatoire, etc.
De différencier le tueur de ‘’masse’’ qui flingue des cinéphiles lors d’une avant-première, de celui qui cartonne sur des noir-e-s dans une église ou de celui qui veut ‘’éradiquer’’ les juifs.

Et la différence ne s’arrête pas uniquement à la terminologie usitée pour décrire ‘’l’agresseur’’, elle se manifeste aussi dans une différenciation de traitement quand l’accusé se retrouve face au jury. Si il y arrive.
Quand un jeune diplômé en neuroscience, se déguise en Joker et tire sur tout ce qui bouge dans un cinéma et fait 12 victimes, la justice américaine le condamne à la perpétuité.
Monsieur Tsarnaev attend l’heure de son exécution pour les trois morts et 264 blessés, victimes des attentats de Boston.
Le premier est fou, le second un terroriste.
Une autre distinction s’opère dans le traitement de l’information en fonction de la ‘’cible’’ et de sa situation géographique. Les 39 morts de Sousse nous ont moins ‘’occupé’’ que les victimes de Charlie hebdo.

Merah, Koulibali et Kouachi sont des noms tristement connus dans l’Hexagone. Ils ont à leur actif 24 exécutions et une petite douzaine de blessés ; Seifeddine Rezgui  a fait 39 victimes sur les plages de Sousse (Tunisie). Ces sinistres personnages en ont commun qu’ils ont été décédé par les forces de l’ordre.
Juste retour des choses au vu des 66 vies, cumulées, qu’ils ont pris, me direz-vous. Justice a été rendue pour leur acte de ‘’terrorisme.’’ Soit.
Dès lors, que penser de Anders Behring Brievik, homme blanc, d’extrême droite, qui a pris le temps de flinguer tranquillement 77 résidants norvégiens ?
L’homme s’est vu valider son ticket d’entrée pour l’Université d’Oslo. Avec au programme de ses futures études supérieures, en vue de décrocher un Master : étude du système démocratique, étude des droits de l’homme et le respect des minorités.

Nos dirigeants, politiques ou économiques, jouent avec nos ‘’émotions’’ – donc nos perceptions, pour obtenir de notre part le comportement adéquat qui permettra à la machine socio-économico-financière de fonctionner parfaitement.
Quand on parle d’intégration réussie, je ne peux m’empêcher de penser aux circuits électroniques qui font fonctionner une télévision. Perception due à ma période d’apprentissage comme électronicien en radio télévision. Je nous imagine comme des composants électroniques disposés sur un circuit imprimé invisible de sorte que, quand un démiurge autoproclamé prométhéen appuie sur un ‘’bouton’’, il voie le ‘’spectacle’’ qu’il voulait obtenir.
Il réussit sa mise en scène parce que le formatage, qui ne fait de nous qu’une formule arithmétique, certes complexe, s’est avéré concluant. L’homme est devenu une ressource binaire fonctionnelle. Une suite de ‘’zéro’’ et de ‘’un’’. La société moderne crie sa laïcité et nous renvoie vers un manichéisme modernisé.

Dès notre plus jeune âge, nous ne sommes conditionnés que pour fournir une réponse uniforme et standardisée à un ‘’problème’’ spécifique. Il n’y a pas vraiment de place pour une pensée divergente.
Nos perceptions ainsi modelées ne nous permettent d’apercevoir qu’une seule réalité ; nos pensées ainsi contrôlées ne nous autorisent à vivre que dans un seul monde : le leur.

Nemo.

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